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A la fenêtre Benoît, Malik, Zyed, Bouna, Clément

juillet 2013 | Le Matricule des Anges n°145 | par Marie Cosnay

Affaire Méric, émotion, réflexion. La question, sur France Culture, le 13 juin, autour de 18 heures, était de savoir si les journalistes avaient raison d’être montés au créneau dans le temps de l’émotion, d’avoir tiré d’une très triste affaire des analyses imparfaites, comme : la violence montante des micro-partis d’extrême droite, les liens entre la mort de Clément Méric et les longues manifestations dernières qui se sont opposées au mariage pour tous. La question était de savoir s’il n’aurait pas mieux valu se taire, dans le vif de l’émotion.
J’écoutais la radio (en voiture, revenant d’un conseil de classe où une équipe pédagogique avait passé une heure et demie à analyser, à propos d’une trentaine d’enfants, les réussites et les échecs, parfois avec maladresse mais « ça parlait ». Je ne sais pas si nous avions conscience d’être bien, à cet endroit de parole commune, pas sûr, parce qu’il y avait la fatigue et la hâte de rentrer chez soi, mais jamais personne n’a rien hâté. J’étais émue, quittant le conseil de classe, émue des bribes d’histoires des enfants, ravaudés ici, tant bien que mal, j’étais émue de cette tentative de partir de chacun de nos regards avant de proposer ce qui nous paraissait ici le plus approprié, là le moins malfaisant).
J’écoutais la radio ; quelque chose ne m’allait pas. Clément Méric, émotion, réflexion ?
D’abord tout se passait comme si on plaçait l’émotion du côté de l’immédiateté. Du côté de ce qui envahit, empêche d’avoir accès à l’analyse (forcément désirée froide) – et surtout du côté de ce qui passe, nous touche puis nous quitte, devenus, c’est le risque non nommé mais craint, capables de supporter plus de, plus de morts d’enfants, plus d’insupportables violences. Un peu comme pour l’ami que dit Saint Augustin dans ses Confessions : il refuse de regarder les jeux du cirque, il fermera les yeux puisque ça passe par là, la vue, l’appel scopique plus fort que tout, il ferme, la clameur frappe ses oreilles et les oreilles lui ouvrent les yeux, deux petites portes s’ouvrent, ça y est, il a bu le goût de l’inhumanité, dit Saint Augustin qui fait de la cruauté une question d’habitude des sens.
Si on ouvrait les portes à l’ émotion, n’habituait-on pas nos sens à en être envahis pour un oui pour un non, au gré des faits divers plus horribles les uns que les autres ? Si on ouvrait les portes, ne devenait-on pas, sous le coup de l’émotion (opposée à réflexion et devenue ici synonyme de pulsion) très endurants, au contraire, à l’émotion ?
À la mort annoncée de Clément Méric, j’ai été saisie par la tristesse, comme la plupart des gens que je connais, j’ai pensé, comme les journalistes dont on parle ce 13 juin au soir, à l’horrible climat des manifs pour tous, à celle dont on se plaît à oublier le petit nom en forme de contrepèterie, elle appelait au sang, l’UMP suivait. Et surtout, surtout, c’était, me semblait-il alors même que j’étais dans la première émotion, c’était notre 20% au Front national du 22 avril 2012 qu’il ne fallait pas oublier, l’arbre ne devait pas cacher la forêt – et justement, au sein de l’émotion, personne ne l’oubliait, me semblait-il. Justement, ce souvenir exacerbait l’émotion.
Bien sûr on a dit, non pas sur le coup de l’émotion (qu’on confond à immédiateté) mais appelés par l’urgence, bien des choses. On ne s’est pas contenté du fait objectif. On a parlé des manifs pour tous, on a évoqué les violences fascistes plus fortes aujourd’hui qu’à d’autres moments de notre histoire. Il faudrait bien du recul pour analyser la pertinence de ces commentaires qui sont des impressions (que seule l’émotion ne dicte pas). Le fait est que de quelque endroit qu’on regarde, on n’a pas exactement la même impression. Ceux qui avaient 20 ans dans les années 80 se souviennent des bagarres musclées contre les skinheads. Ceux qui avaient 15 ans dans les années 80 au pays basque n’oublient pas Benoît Pécastaing, notre ami, tué par le Gal, au café des Pyrénées. Je n’ai jamais oublié Malik Oussekine, mon fils ni moi n’oublierons Zyed et Bouna. Ni n’oublierons les petits morts d’une école juive qu’un tueur fou, appelant au Djihad, fit l’année dernière.
C’est que tous ces noms (présents, empreints d’émotion), auquel celui de Clément Méric s’ajoute, ne sont pas ceux de gamins, de très jeunes hommes, morts de faits divers. Ils sont les noms de gamins, de très jeunes hommes morts de faits politiques. Et c’est à cet endroit qu’on est émus, bouleversés, et qu’on est bien avisés de proposer nos impressions : non que nous soyons des êtres de sentiments que l’immédiateté agite, mais parce que nous baignons dans le monde, celui de la violence de l’ETA et de la police espagnole et française au pays basque dans les années 80, celui des années 86, celui des années 2010, avec la montée très évidente des partis d’extrême droite partout en Europe. Les journalistes baignent dans le monde, ils s’en imprègnent, c’est bien la moindre des choses qu’ils mettent en commun leurs impressions et c’est bien ce que Samaras, taraudé par la Troïka, cependant que des salopards achètent de la dette, est en train d’empêcher de faire à la radiotélévision publique grecque.
La mort de Clément Méric, comme celle de Zyed et Bouna, est politique ; si nous sommes bouleversés, c’est politiquement que nous le sommes. La mort de ces gamins, de ces très jeunes hommes est un (des) accès au bouleversement politique. Quelque chose en nous se projette, rêves et luttes que nous avons eus et menés, à l’âge de ces enfants, enfants que nous avons. C’est ainsi, la mort de ces enfants réveille ou fait travailler, via impression, empathie et émotion, notre sens politique. Nous fait débattre. Nous rend vigilants. On est loin, je crois, de l’immédiateté de la pulsion qui ouvre et ferme les portes comme un bonjour.

Benoît, Malik, Zyed, Bouna, Clément Par Marie Cosnay
Le Matricule des Anges n°145 , juillet 2013.
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