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Zoom Une mère en héritage

octobre 2013 | Le Matricule des Anges n°147 | par Thierry Guichard

Écrivain majeur de la littérature américaine contemporaine, Richard Russo dresse le tombeau sensible de sa mère aux « nerfs malades ». Et dévoile ainsi les sentiers enfouis de son œuvre.

J’écrivais de manière hystérique, obsessionnelle et, au début, pas très bien. Je parlais du crime, des villes, des femmes et d’autres choses que je connaissais mal, dans une langue très différente de ma voix naturelle, ce qui explique pourquoi les rédacteurs en chef (des revues où il envoie ses manuscrits, ndlr) n’étaient pas intéressés. » À cette époque, l’homme est un jeune universitaire. Il pourrait faire carrière, mais recherche plutôt des postes qui lui laisseraient le temps d’écrire. Il vit avec sa femme, Barbara, il va avoir deux filles. À moins qu’il ne faille en compter trois si l’on considère qu’il a la charge d’une mère dont la vie est une succession d’échecs.
Dans la page qui précède ce moment, rare, où le romancier et nouvelliste américain parle de son travail d’écriture, nous assistons à une discussion entre son père et lui. Jimmy Russo n’a pas élevé son fils. Il a vite pris la poudre d’escampette. Joueur invétéré, l’autre version familiale voudrait qu’il ait été mis dehors par la mère du futur écrivain. Le fils, devenu adulte, travaille sur un chantier avec son père, près d’Albany. (On apprend aussi qu’il lui arrivait d’aller chanter dans les bars pour faire entrer un peu plus d’argent dans le foyer). Dans un des bars de routiers où les deux hommes ont pris l’habitude de s’arrêter (on sait l’importance de ces bars dans l’œuvre à venir), le père passe aux aveux : « “J’aurais dû penser plus à toi (…). Mais c’était facile de t’oublier. Il se passait toujours quelque chose d’autre : un cheval qui ne pouvait pas perdre ou une partie de poker. Tu semblais te débrouiller très bien sans moi.” Quand il se tut, je crus qu’il avait terminé, mais il ajouta une dernière phrase. “Et puis je ne pouvais pas être ton père sans être aussi marié à cette folle.” Mon expression dut lui paraître étrange car il se pencha en avant sur son tabouret de bar afin de m’observer de plus près. “Tu sais que ta mère est cinglée, hein ?” » Le père n’est pas un écrivain, mais c’est celui qui met le mot juste sur ce que vit son fils. La réaction à ce jugement, telle que la décrit Russo est éclairante : colère face à un jugement proféré par un géniteur enfui et « soulagement totalement inattendu » de voir nommée pour la première fois une réalité qu’il connaissait pourtant. La proximité des deux citations (la discussion avec le père, la description du travail d’écriture maladroite) donne donc une indication essentielle sur ce qui doit nourrir l’écriture pour que la voix de l’auteur y retrouve sa nature. Pour autant, Ailleurs n’est pas un livre sur le processus de création. Et même si on y retrouve des éléments croisés dans l’œuvre (les bars, le grand-père malade d’insuffisance respiratoire, cette attention portée aux gens modestes), le récit est avant tout un hommage sensible rendu à la mère. Prisonnière de ses obsessions (qui donneront chez le fils l’obsession d’écrire), de son désir d’indépendance et de respectabilité, la mère de Russo apparaît de plus en plus fragile et meurtrie au fur et à mesure du récit. Mais c’est aussi un portrait de l’Amérique depuis l’insouciance des années 70 et cet incroyable voyage que la mère et le fils effectuent pour changer de vie, jusqu’aux dernières années où la succession des crises économiques pèse lourdement sur les rapports humains.
Le lecteur de Richard Russo, entre autres du couronné Déclin de l’empire Whiting (2002), du Phare de Monhegan (2004), de Mohawk (2011) sera touché par ce dévoilement intime d’un auteur de fictions à l’humanité profonde. La langue y est d’une humilité qui n’empêche pas la précision et l’intelligence. Ainsi cette scène extraordinaire qui ouvre le livre : l’enfant est avec sa mère dans la salle du restaurant chez Pedrick dont l’autre salle est consacrée au bar (on pense au resto du Déclin de l’empire Whiting). Un mur sépare les deux salles, celle des gens respectables et celle de ceux qui s’amusent. Du côté du fils, ce sont les enfants et les vieillards auxquels on sert des sodas. De l’autre côté, c’est la musique et des gens qui dansent en buvant les alcools du bar : le père s’y trouve. « Je devinais que ma mère, si elle ne m’avait pas eu sur les bras, aurait préféré être de l’autre côté, elle aussi. (…). Même si je ne pouvais pas le formuler avec des mots, j’avais la nette impression que le mur qui séparait la respectabilité du plaisir était en effet très fin. » Il arrive que certains écrivent pour abattre des murs…

T. G.

Ailleurs,
de Richard Russo
Traduit de l’américain par Jean Esch
Quai Voltaire, 261 pages, 21

Une mère en héritage Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°147 , octobre 2013.
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