La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Zoom Une sacrée tambouille

janvier 2024 | Le Matricule des Anges n°249 | par Guillaume Contré

Réédition d’un magistral recueil de nouvelles d’Alain Fleischer qui mêle arts de la table et sens de l’absurde dans une frénésie d’invention.

La Femme qui avait deux bouches

Ceux qui se désolent du peu de cas fait au genre de la nouvelle dans le paysage uniforme de nos lettres trouveront avec la réédition de ce volume conséquent un beau pavé à jeter dans la morne mare de l’inamovible roman. Originellement publié au Seuil en 1998, La Femme qui avait deux bouches, fort de ses 680 pages et de la quarantaine de fictions qu’il rassemble, a tout du manifeste provocant. Un geste littéraire d’autant plus osé que Fleischer, comme il le rappelle dans sa préface, faisait alors ses débuts en littérature, bien qu’il eût déjà une prolifique carrière de cinéaste.
L’auteur, d’origine hongroise, réinvente au fil des pages une Mitteleuropa à sa mesure, dans laquelle sa fantaisie, son goût de l’absurde et du ludique (plusieurs nouvelles semblent être nées d’un jeu de mots prometteur), trouvent un cadre flottant, presque légendaire. Une Europe centrale nourrie de mille et une lectures, qui donne à sa fiction une atmosphère, une certaine couleur évoquant Kafka ou Joseph Roth. Il ne s’agit pas tant de reconstituer un monde disparu que de se laisser aller à une rêverie, laquelle d’ailleurs s’autorise toutes sortes d’incartades dans d’autres espaces géographiques qui n’intéressent l’auteur qu’en ce qu’ils sont porteurs d’un imaginaire littéraire à se réapproprier. Les traditions narratives de l’inquiétante étrangeté, du fantastique ou du grotesque sont toutes convoquées, avec une gloutonnerie perverse.
Une thématique traverse l’ensemble du recueil – conçu comme un tout plutôt que simple accumulation de formes courtes – celle de la nourriture, présente de façon centrale ou plus marginale dans chaque nouvelle. En découvrant dans les rayons d’une librairie un ouvrage intitulé La Cuisine des anges, l’auteur ou son double ramène la littérature à un « art purement culinaire, un art d’accommodation et de préparation » et s’interroge : « les romans ne sont-ils pas toujours pleins de vieilles recettes, cachées sous les histoires qu’ils font fumer pour flatter nos narines ? », avant d’ajouter « l’appétit vient en lisant et la recette en écrivant ». Comme le suggère le titre de la nouvelle qui chapeaute l’ensemble, il y a ici une sorte d’érotique de l’excès qui se nourrit du détail scabreux, délirant, et dévore tout sur son passage.
Qu’il s’agisse de l’histoire d’un homme rendu fou par la moitié manquante du demi-poulet rôti dont il a fait l’acquisition chez le marchand Hassler (« un rituel que j’accomplis chaque lundi à midi invariablement et sans exception ») ou de celle, racontée par des témoins de la scène, d’un autre qui, à force de maladresse, se lance dans une exhaustive autodestruction au restaurant (un « homme sans tâche » qui finira maculé de sauce jusqu’à ce que mort s’ensuive), il convient de faire scrupuleusement dérailler la réalité, d’où l’amplitude et la précision presque maniaque de phrases qui peuvent s’étaler sur plusieurs pages.
L’effet, par la mécanique même de cette écriture obsessive, qui rappelle par moments Thomas Bernhard, est moins comique que perturbant. Ainsi d’une nouvelle organisée autour de coupures de presse australiennes, issues de publications aussi improbables que le Sydney Sunday Sandwich, dans lesquelles nous saurons tout de l’évolution d’un restaurant – il y a, forcément, beaucoup de restaurants dans ce livre – où les commensaux sont invités à déguster les restes de leurs « chers défunts » lors de « repas rituels des Koulou-koulous de Nouvelle-Guinée, adaptés au goût anglais ». Ou de la construction, dans quelque république bananière d’Amérique centrale, d’un autre restaurant, de luxe celui-ci, en pleine forêt vierge, « le joyau, la pièce maîtresse de l’équipement touristique du pays », répondant au nom prometteur de « Palais des palais ». Hélas, l’absence d’infrastructures routières en fait un lieu inaccessible jamais perturbé par l’irruption du moindre client. Les « longues langues », quant à eux, ne meurent que d’une seule façon : en avalant leur langue, et tous les stratagèmes qu’ils mettent en place pour échapper à ce destin sont futiles. Ailleurs, un « changement de régime » crypto-marxiste propose une « libération alimentaire nationale » forçant les travailleurs à maigrir drastiquement pour gagner en productivité tandis que le roi et les membres de sa cour, réfugiés en Suisse, s’empiffrent de chocolat.
Comme si tant d’excès caloriques ne suffisaient pas, L’Arbre vengeur – une maison prédestinée à accueillir un jour ce livre dans son catalogue – enfonce le clou en publiant également en guise d’en-cas Risibles malentendus, recueil inédit qui démontrera que Fleischer, un quart de siècle plus tard, ne s’est pas endormi sur ses lauriers. Cette fois, ce sont les paradoxes qui abondent, qu’il s’agisse d’un chef d’orchestre sourd qui manœuvre à vue ou du doublage d’un film porno atterrissant mystérieusement sur des images de Bergman.

Guillaume Contré

La Femme qui avait deux bouches
& Risibles malentendus,
Alain Fleischer
L’Arbre vengeur, 684 p., 19,50  ; & 172 p., 16

Une sacrée tambouille Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°249 , janvier 2024.
LMDA papier n°249
6,90 
LMDA PDF n°249
4,00