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Zoom Portrait de l’écrivain en adolescent tourmenté

septembre 2023 | Le Matricule des Anges n°246 | par Feya Dervitsiotis

Dans son quatrième livre, Max Porter raconte la fugue nocturne d’un garçon, en 1995. Une prose orageuse, qui trouble autant qu’elle exalte.

Un charme mystérieux se dégage des livres de Max Porter. Depuis le très novateur La Douleur porte un costume de plumes (Seuil, 2016), cet ancien éditeur britannique décortique ce sentiment dont il nous fait visiter toutes les chambres. Bouleversants et sombres, ses livres tendent vers une timide mais suffisante lumière, située au bout de la douleur. Le lecteur y est fermement mené jusqu’à la catharsis.
Moderniste dans sa composition, Shy tient en quelques heures, entre « 3h13 du matin » et l’aube – étrangement, on pense à Mrs Dalloway de Virginia Woolf. Le timide n’a pas 18 ans et son malaise aucun répit. Sur le fil tendu d’une explosion psychique imminente, Shy s’enfuit de son école spécialisée pour adolescents dysfonctionnels, un internat dit de « la Dernière Chance ». Par cet acte, il semble protester contre la décision du propriétaire de transformer le bâtiment en appartements privés. Shy se retrouve seul dans une campagne qu’il ne connaît pas. Sur son dos d’Atlas agressif et rebelle, il porte tout le poids du monde et un sac rempli de silex dont il refuse de se délester, « ça lui donnerait l’impression de tricher ».
Revenir en arrière serait simple et il se l’imagine plusieurs fois. Mais à l’image de ses fréquentes crises, véritables décharges de violence où il lui faut casser une chose après l’autre jusqu’à atteindre le calme, rien ne peut entraver ce qu’il a initié. Shy enjambe un fil de barbelé puis « pénètre dans le champ », et nous dans sa psyché en ébullition. Le point culminant de l’épopée de Shy est un étang boueux où se joue la plus aberrante des épiphanies, enclenchée par deux blaireaux morts.
Cette ligne narrative se fait mitrailler par plusieurs discours qui viennent s’entrechoquer dans l’esprit de Shy – le vrai territoire du livre. La page est disputée par des polices de caractères et des dispositions hétérogènes. Par là, Max Porter brise (ou s’interdit ?) le monologue intérieur. Ce sont des souvenirs de crise et de paroles ressassées, celles de sa mère, de son beau-père ou d’assistants sociaux essayant de lui faire barrage. « Il s’arrête quelques instants près de la haie et mordille ses doigts, ronge les souvenirs qui le brûlent, recrache des lambeaux de peau et d’ongle dans la nuit. » À ces pensées s’entremêlent des références et le vocabulaire de cette musique électronique à la fois agressive et prolétaire, festive et contemplative : la drum’n’bass. Max Porter déploie un sous-texte culturel anglais des années 1990 qui correspond à sa propre adolescence. Le martèlement de la drum’n’bass, qu’il écoute en permanence dans son Walkman, accompagne et exprime la colère de Shy. On retrouve sa scansion, sa rythmique, dans des pages parfois sans points ni temps morts, comme si l’esprit de son personnage infusait directement l’écriture de l’écrivain.
Le lyrisme de Max Porter se situe dans ces efforts pour entrer dans la peau de cet autre impénétrable, pour se fondre dans ses troubles jusque dans la langue. Des images brûlantes et des phrases rugueuses comme des silex tentent d’évoquer la douleur particulière du garçon. Pour exprimer une intériorité échappant aux récits dominants, l’écrivain ne compte pas sur le réalisme mais sur une langue ouvragée, artificielle, qui sort de l’ordinaire : « Bruit de phalanges qui se plient et craquent dans son esprit. »
Au paroxysme de sa traversée initiatique, Shy aperçoit donc deux blaireaux morts. Mais il ne détermine pas tout de suite la nature de ces formes. La narration se resserre alors : le brouhaha s’interrompt, les voix se taisent, et tout en Shy, le dangereux comme le vulnérable, se mobilise pour comprendre le mystère auquel il fait face. Comme dans La Douleur porte un costume de plumes, où la figure du corbeau jouait un rôle prépondérant, c’est par une forme arbitraire, par la gratuité de l’invention littéraire, que Shy accède au chemin du retour, au calme. Au même moment, le livre touche à sa résolution et le lecteur partage cette libération émotionnelle, après être passé par une exploration de la douleur aussi brutale que poétique. Tel un tunnel que l’on traverse et lit d’un trait.

Feya Dervitsiotis

Shy
Max Porter
Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Charles Recoursé
Éditions du sous-sol, 136 pages, 17,50

Portrait de l’écrivain en adolescent tourmenté Par Feya Dervitsiotis
Le Matricule des Anges n°246 , septembre 2023.
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