Un sale gosse que chacun malmène, du père à la ville entière. Voilà ce qu’est Idaho. Seule la petite Madison sait l’aimer, avant que ses pieds soient dévorés par des molosses dressés contre celui que l’on surnomme « La Patate ». Tout est foncièrement immoral, élevant le harcèlement au rang de devoir.
Bientôt l’auteur lui révèle qu’il est sa créature, qu’il est responsable de son abominable venue au monde. « Le cercle de guérison », « la rédemption » n’ont pas lieu comme prévus. Le personnage parvient à se « venger cruellement » de son créateur en l’enfermant. S’il s’en sort, c’est pour entrer dans un « écran », où les citadins vieillis sont « sans destin ». Quant à l’auteur, qui en appelle au lecteur, il ne sait plus s’il est dans son livre, lorsqu’apparaissent « les Chauve-mères », ou lorsque le « conseiller d’orientation » devient narrateur. Entre « les instables et les Marcheurs aux limites de la lumière », le labyrinthe narratif devient « une forme de mythologie », un clin d’œil ironique à l’univers de Lovecraft. Nous sommes dans l’esprit d’Idaho, dans un « vidéoclip » qualifié de « pop-punk ». « Quelle est la clé d’or, la noble révélation, la chose, qui ramènera ces gens chez eux ? Il faut nécessairement qu’il y ait une dimension symbolique ». Car ils se changent en patates… N’est-ce qu’un cauchemar ? Ce bref roman de Tony Burgess est étonnant : de l’hyperréalisme au fantastique, la figuration du mal embrasse l’humanité. L’apparition de l’auteur manipulateur et manipulé ancre le récit dans un postmodernisme totalement fantaisiste, dans la tradition de l’écrivain américain John Barth. L’« incontrôlable machine à réalité » s’emballe. Le conte noir merveilleux a quelque chose de gothique. On ne sait s’il faut le lire comme tombé de la main de Borges au pays des mangas, comme un traité de narratologie, ou comme une belle billevesée…
Thierry Guinhut
Idaho winter
Tony Burgess
Traduit de l’anglais (Canada) par Christophe Bernard
Les Allusifs, 152 pages, 12 €
Domaine étranger Dans l’esprit d’Idaho
mars 2014 | Le Matricule des Anges n°151
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Dans l’esprit d’Idaho
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°151
, mars 2014.