Quel citadin assigné aux mêmes trajectoires, piégé dans les mêmes routines, prisonnier des mêmes déveines et rages accumulées n’a rêvé de prendre soudain la clef des champs ? On ne compte plus les héros, et davantage héroïnes – buissonnières du cinéma d’aujourd’hui – ; quelques écrivains ont inventé des échappées rurales, jardins reconquis, bonheurs aménagés.
Mais c’est dans une forêt, lointaine, très lointaine, que vient s’enfouir la narratrice du nouveau roman d’Hélène Frédérick. « S’il y avait quelqu’un et qu’il osait le demander tout haut avec des manières familières – tu as quitté Paris et tu as roulé trois heures à partir de Montréal, et là tu te tiens affalée, nue comme un ver, à plat ventre, en étoile, sur un plancher que tu n’as même pas pris la peine de balayer, pour oublier quoi ? je répondrais, prose prosaïque : mes dettes. » Cette fuite a tout d’un retour, puisque le chalet est celui des parents de l’héroïne, et le Québec le pays de ses origines – et de celles de l’auteur – ; mais rien de prévisible. Vite écarté, le lyrisme facile de la solitude boisée ou de la sauvage liberté. La forêt est une forêt de conte noir, de vertige, allusive, une forêt « contraire », comme le dit le très beau titre, transposition du toponyme québécois « Inverness » mais aussi témoignage d’un vacillement, d’une inadéquation, et promesse d’une menace. Pari risqué de fiction.
Que veut André, ce voisin tombé du ciel ? Qu’est-ce qui se cache derrière la figure de Lukas Bauer, ancien activiste des années de plomb ? Quel désir est maintenant celui de l’héroïne, qui n’a pas encore 30 ans et qui a déjà pensé en finir ? Retrouver la « juste mesure de l’humain » ou bien achever l’inachevable ?
On retrouve dans Forêt contraire la sensualité et l’amour dangereux des masques, la préservation d’un mystère qui imprégnaient le si singulier premier roman d’Hélène Frédérick, La Poupée de Kokoschka. Quelque chose résiste cependant, et n’emporte pas complètement le lecteur, ne s’incorpore pas tout à fait – fragilité de l’écriture ou prégnance trop forte des fantômes ?
Chloé Brendlé
Forêt contraire
Hélène Frédérick
Verticales, 161 pages, 15,90 €
Domaine français Forêt contraire
mars 2014 | Le Matricule des Anges n°151
| par
Chloé Brendlé
Un livre
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°151
, mars 2014.