Marcheur égaré, chasseur de gibier, évadé ? Qui peut bien aller se perdre au fin fond d’Ici ? Dédié à son ami Pierre Autin-Grenier, qui affirmait « s’emmerder » ferme à la campagne, l’écrivain belge Christine Van Acker propose de vivre autrement cet enracinement rural. Elle a, famille sous le bras, franchi la centaine de kilomètres qui séparent « le nombril de la Belgique » du « trou du cul de la Belgique ». Loin d’être juste écartelés d’un bout à l’autre d’une ligne géométrique, rats des villes et rats des champs sont séparés par une multitude de petites choses, comme autant de rapports différents à l’existence. Ici la continuité, avec sa chape de fatalité, le fils fera comme le père, endossera « l’uniforme prolétaire : le bleu de travail aux genoux renforcés et aux poches multifonctions ». Là, une vie culturelle foisonnante, les transports en commun, rapides. Ici, « un bout du monde où il vaut mieux posséder deux voitures plutôt qu’une ». Là, la vie sociale effervescente. Ici, les rues sont désertes tant qu’il pleut. Qu’à cela ne tienne, l’auteur préfère la simplicité de son potager au front audacieux des villes conquérantes. Mais à la campagne, le chômage aussi fait ses ravages. Il n’y a qu’à voir le jeune Dylan, qui erre sur sa moto. Qui attend. Les touristes eux se repaissent de cette ruralité forcément estivale. Sous la plume caustique de Christine Van Acker, les voilà, de passage, juste le temps de subtiliser l’essence même du lieu et de s’en repartir « Là-bas ». Laissant derrière eux s’installer l’hiver, la solitude, et l’ennui. Mais ici, il est source féconde, un aiguillon pour se questionner sur notre incapacité à accepter d’être, un temps, « sur le banc de touche ».
À Pierre Autin-Grenier qui disait « n’être bien nulle part », Christine Van Acker a construit un banc d’éternité sur lequel s’asseoir, pour contempler le Galuchet toujours ivre sur sa mobylette, les enfants perchés sur un tas de bois, le vieux Gaston qui se souvient de l’hiver d’avant.
Virginie Mailles Viard
Ici
Christine Van Acker
Le Dilettante, 160 pages, 15 €
Domaine français Ici et maintenant
mai 2014 | Le Matricule des Anges n°153
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Ici et maintenant
Par
Virginie Mailles Viard
Le Matricule des Anges n°153
, mai 2014.