Comment peut-on consacrer sa vie aux vers de terre ? C’est pourtant la spécialité du héros préféré de Sjöberg, dont l’autobiographie fragmentée alterne avec la biographie du scientifique Gustav Eisen (1847-1940). Ce collectionneur de vers (au point de donner le nom de la femme aimée à l’un d’eux) ou encore de vignes et d’aventures, aquarelliste, nouvelliste et théosophe, est selon le narrateur « un espalier pour y accrocher ma propre histoire ». Ce dernier, né en 1958, est également un naturaliste curieux, traqueur de papillons et de « Callicera », dont l’enfance est semée des aventures épiques et souriantes de l’entomologiste en herbe.
Ce pourrait n’être qu’un livre de spécialiste ; mais le charme et la persuasion du récit de Sjöberg sont sans mélange. Nous voyageons d’île en île, entre mer Baltique et abords de la Californie, où les explorateurs jouent les Robinson et inventorient de nouvelles espèces d’algues, mais aussi parmi la Sierra Nevada. Les anecdotes sont savoureuses. Comme lorsque la chasse aux insectes permet de courir les filles, lorsque des « parasites qui coulaient des jours heureux dans le testicule d’un ver de terre du Guatemala », lorsqu’un scarabée baptisé « Anophtalmus hitleri » est menacé de disparition par des collectionneurs nostalgiques du Troisième Reich…
Pour l’amoureux de la nature, « la question de l’environnement (…) est une belle religion », mais il reste un sceptique quant aux « théories alarmistes en matière de climat ». Il ajoute : « ce sont les églises qui m’inquiètent ». Sa prudente sagesse, qui ne s’enferre pas dans de lourdes théories globales, est aussi rafraîchissante que son enthousiasme de marcheur et de découvreur.
Thierry Guinhut
La Troisième île
Frederick Sjôberg
Traduit du suédois par Elena Balzamo
José Corti, « Biophilia », 208 pages, 20 €
Domaine étranger La Troisième île
mai 2014 | Le Matricule des Anges n°153
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°153
, mai 2014.