La vie et l’œuvre de l’écrivain franco-grec Vassilis Alexakis sont indissociables. Bien malin qui pourrait distinguer la réalité du fictionnel, le souvenir reconstruit du compte rendu précis de l’événement. Quel intérêt d’ailleurs, car les faits s’effacent devant l’urgence de cette longue lettre dialoguée pour un ami disparu : en 2013, l’éditeur Jean-Marc Roberts décède d’un cancer. Vassilis Alexakis poursuit avec lui les discussions qui ne seront plus, réfléchit aussi beaucoup, sur Paris, les Parisiens, le déracinement, l’écriture, la critique, la Grèce antique, la Grèce touchée par la crise. L’imparfait caressant et doucement nostalgique rythme le discours et signe le manque : « Mon livre était sorti en septembre, les critiques étaient bonnes, tu espérais que nous aurions un prix ». Dans un même paragraphe, souvent dans la même phrase, l’auteur opère un lissage, place sur le même plan la maladie, l’écriture, les gens. Alexakis se livre même à des tentatives de littérature comparée : « Tu as inventé un héros modeste, qui se tient volontiers dans l’ombre, qui subit les événements plus qu’il ne les commande (…). Contrairement à moi, tu laisses libre court à ta sensualité ». L’écrivain s’attarde sur les sentiments, les passions, voit les corps en esthète, mais les replace aussi dans leur réalité crue lorsqu’ils sont rongés par les traitements et le mal qui gagne. Plus qu’une ode à l’amitié, La Clarinette est un hommage à la curiosité permanente qui doit animer toute existence. « Nikos m’a conseillé de lire un roman de Yorgos Theotokas, Malades et Voyageurs, paru en 1964, qui couvre la période qui s’étend de l’invasion allemande à la guerre civile ». Le roman célèbre un humanisme du quotidien, éclairé, qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Parfois les constats sont sans appel : « Nous sommes entrés dans une nouvelle ère hélas : nous dissimulons nos soucis, nous portons sur les autres un regard peu amène, nous ne leur faisons plus confiance ». Tout l’inverse de La Clarinette.
F. M.
La Clarinette
Vassilis Alexakis
Seuil, 351 pages, 21 €
Domaine français La Clarinette
juin 2015 | Le Matricule des Anges n°164
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°164
, juin 2015.