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Égarés, oubliés Les orages de l’âme

juin 2015 | Le Matricule des Anges n°164 | par Éric Dussert

Admiratrice du Moine de Lewis et patricienne du roman gothique, Charlotte Dacre imagina un type d’héroïne coupant comme un rasoir.

Zofloya, ou le Maure

On se doutait à la lecture du livre de référence de Maurice Lévy sur Le Roman gothique anglais, 1764-1824 (Albin Michel, 1995) qu’il restait à découvrir sur ces terres embrumées, froides et isolées quelques perles restées en jachère faute d’un intérêt éditorial soutenu. On peut le comprendre : le rythme narratif en usage à cette époque du roman n’est plus ce qui correspond au train de la vie aujourd’hui – et le saucissonnage standardisé des feuilletons télévisés, aussi réputés soient-ils, est loin de pouvoir rappeler le montage des suspens de cette époque tout juste issue des massacres révolutionnaires – alors que la répétition parfois millimétrique des thématiques et des décors peut également paraître un peu répétitif. Mauvais argument, bien sûr, car on ne compte plus aujourd’hui les niches littéraires où l’« homogénéité » des productions est telle que seul un illettré pourrait ne pas s’en rendre compte. Alors ? Alors le manque de notoriété de certains auteurs semble devoir expliquer la négligence dans laquelle on les tient. Une fois encore, vae victis, on s’est contenté – mais avec quel plaisir ! – du Moine, de Frankenstein et d’une paire de châteaux en ruine avec âmes errantes, nonnes maudites et revanchards machiavéliques.
Née en 1771, la romancière anglaise Charlotte King, épouse Byrne, est l’exemple type de ces victimes du star system. Éditée à partir de 1805, elle donne d’abord un recueil de poèmes, Hours of solitude puis, dès l’année suivante, opte pour le nom de Charlotte Dacre sous laquelle elle publie son premier roman, Confessions of the Nun of St Omer. Déjà une nonne donne le ton… Charlotte Dacre poursuit en 1807 avec The Libertine (1807) et The Passions (1811), deux œuvres qui soulignent son goût pour les sujets épicés. Mais c’est en 1806 qu’elle se fait remarquer en produisant sous le pseudonyme de Rosa Matilda – en hommage à la Mathilde de M. G. Lewis – Zofloya, ou le Maure, un roman qui doit faire face à de vives critiques. Ses détracteurs choisissent parfois de minorer ce roman en le qualifiant d’immoral ou de simple imitation du Moine que Lewis fit paraître en 1796.
Même si la comparaison avec le chef-d’œuvre de Lewis ne semble pas contestable, Zofloya ne peut pas en revanche être relégué au rang de parodie médiocre. Évidemment les caractéristiques du roman gothique ne manquent pas : jeunes victimes candides, grandes familles maudites, tentatives de meurtres, tromperies et séductions, scènes nocturnes, décès des soutiens salvateurs, etc. Et les affreux jojos sont aussi immoraux que nécessaires, et parfois parce que leur destinée et leur éducation les y conduisent. En substance, c’est Victoria qui attire tous les regards. Fille d’une aristocrate qui en fautant a piétiné l’honneur familial, elle appartient avec Mathilde Strozzi à un type de personnage nouveau dans le champ du roman gothique : la femme agissante – mauvaisement bien sûr –, donc active et douée d’une volonté impérieuse ne se refusant aucun ressort depuis la manipulation jusqu’au meurtre, ne serait-ce que pour assouvir ses désirs, en particulier sexuels. Ce retournement du rôle de la femme, cantonnée d’habitude aux rôles de la nonne violentée ou de l’oie blanche séquestrée et violée, est ce qui scandalise la bonne société britannique – mais semble plaire aux lecteurs dans le déduit, lecteurs qui font un beau succès d’estime aux trois volumes du roman.
Pensez donc : des femmes qui assument leur libido sans y laisser interférer de considérations morales ou les conventions sociales, usant en cas de besoin de la plus primitive des violences… « Que les autres mères tremblent à cette réflexion, et méditent profondément sur les suites que leur mauvaise conduite peut avoir pour leurs enfants ! » Voilà arrivé l’âge des maîtresses-femmes usant de leur volonté, sachant masquer leurs objectifs en cas de besoin, des machiavels en jupon, une nouveauté terrible dans ce monde du jeune XIXe siècle où l’on se contente aisément des figures de femmes aimables, agréables à regarder mais victimes vertueuses, pusillanimes et faibles du système et des hommes. Voici comment Charlotte Dacre imagine quant à elle son héroïne : « Le cœur de cette fille, étranger aux nobles passions et aux sentiments supérieurs, n’avait de tendance qu’à l’ambition, à l’intérêt personnel, et à l’égarement le plus immodéré. Son être entier ne convenait qu’aux orages de l’âme ; grondant, menaçant, et livrant tout à la ruine et au désespoir ».
Charlotte Dacre disparaît le 7 novembre 1825 en laissant un roman qui a imposé un type littéraire et une problématique toujours valable un siècle et demi plus tard. Lorsque « l’amazone du crime », Joëlle Aubron, abat avec Nathalie Ménigon le patron de Renault, Georges Besse, le 17 novembre 1986, la presse retient avec une forme très nette de sexisme le fait que les meurtrières sont des femmes et leur cherche des circonstances atténuantes que leur froideur dément durant tout leur procès. La transgression d’une femme exerçant une violence illégitime reste totale. Il suffit de se procurer la nouvelle édition de Zofloya, ou le Maure dont la couverture a désormais une élégance de suaire pour se convaincre que la femme n’a jamais eu le droit d’être une criminelle comme un autre. Pourtant, « Comme la hyenne indomptable, la contrainte ne la rendait que plus fière et plus sauvage. »

Éric Dussert

Zofloya, ou le Maure
Charlotte Dacre
Librairie Otrante, 225 pages, 24

Les orages de l’âme Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°164 , juin 2015.
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