En consacrant ses deux premières publications à Novalis, ce poète allemand pour qui la poésie « est le réel véritablement absolu », les toutes nouvelles éditions Poesis affichent clairement leur désir de se tourner vers les origines de la poésie, de se consacrer à la relation qu’elle entretient avec le monde par-delà les mots et au-delà de tout genre littéraire. Une relation qui passe par la philosophie, les sciences, l’exploration des espaces intérieurs, la pénétration sensible de l’invisible, et que Friedrich von Hardenberg, alias Novalis, a poussé très loin.
Né en 1772, et emporté par la tuberculose à 29 ans, Friedrich, le second des onze enfants d’un baron de vieille souche saxonne, va vite se montrer étonnamment doué dans toutes les matières. Il étudie la philosophie, les mathématiques, le droit, suit avec enthousiasme les cours de Fichte, de Schiller, se lie d’amitié avec Friedrich Schlegel, le futur fondateur de l’Athenaeum, la revue qui véhiculera les théories et les flamboyantes déclarations du premier romantisme allemand. Il se passionne pour les expériences du physicien Ritter, étudie la géologie, deviendra ingénieur des Mines. Intensément vivant, il est de ces « éveillés » travaillant à faire que le rêve devienne monde et le monde rêve. Comme Dante, il aura sa Béatrice en la personne de Sophie von Kühn, la « rose de Grüningen », la « clé pour toutes choses », qu’il devait épouser mais qui mourut, à 15 ans, en 1797. L’amour et la mort de cette jeune fille lui font alors regarder le monde autrement. C’est comme une révélation. Il écrit les Hymnes à la Nuit, cette Nuit dont Sophie lui a donné la clé, et dont il commence la lumineuse exploration. « C’est un regard d’enfant, dira Gustave Roud, un des traducteurs des Hymnes, où l’audace tire sa toute-puissance de l’ingénuité même, étrangement sauvegardée, un regard de voyant et d’ange… »
Ce que l’amour a sanctifié replonge l’homme dans ses eaux profondes, le réaccorde magiquement aux forces de la terre. Désormais celui qui va latiniser son nom en Novalis, « terre à défricher », ne cesse plus de célébrer l’accord, le consentement confiant d’où jaillit la mélodie de la vie. Le monde, explique-t-il, doit être romantisé. « Lorsque je donne au commun un sens élevé, à l’habituel un aspect mystérieux, au connu la dignité de l’inconnu, au fini une apparence infinie, alors je romantise. L’opération s’inverse pour le plus haut, l’inconnu, le mystique, l’infini – à travers cette relation elle est logarythmisée – elle reçoit une expression courante. » En mariant l’intuition à l’imagination et à l’étude de toutes les disciplines, il devient possible de comprendre les combinaisons de forces et de nombres qui font l’âme du monde. Mais la profonde unité entre le monde et l’expérience la plus intime ne peut être approchée que par la poésie. Elle seule est à même de nous faire ressentir l’univers comme un tout organique et infini, de nous permettre d’entrer furtivement en fusion avec l’âme du monde.
Rendre visibles les choses invisibles, sentir l’insensible, tel est le rôle du poète selon Novalis. De son expérience, de la conversation ininterrompue avec soi-même, il va sauver des fragments – plus d’un millier en trois ans – qu’il rassemble dans des cahiers et dont un florilège nous est proposé dans Poésie, réel absolu. Des remarques, des réflexions, des pensées que leur auteur considère comme autant de grains de pollen, de boutures, de semences. Une voix se parle à elle-même, donne de l’intelligence à notre intelligence, nous dit surtout que nous avons la faculté d’être, avec notre conscience, « au-delà des sens », d’être à chaque instant, un être suprasensible.
Richard Blin
NOVALIS ET L’ÂME POÉTIQUE DU MONDE DE FRÉDÉRIC BRUN et POÉSIE, RÉEL ABSOLU (Florilège de Fragments de Novalis), traduit par Laurent Margantin, Poesis, 224 pages, 19 € et 80 pages, 14 €
Poésie Novalis, le pollinisateur
septembre 2015 | Le Matricule des Anges n°166
| par
Richard Blin
À travers le récit de la vie de Novalis, Frédéric Brun rend accessibles les idées de ce poète unique et intemporel.
Un livre
Novalis, le pollinisateur
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°166
, septembre 2015.