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Domaine français L’île, espace littéral

octobre 2015 | Le Matricule des Anges n°167 | par Christine Plantec

L’écrivain et vidéaste Frank Smith, qui se déclare volontiers un Poetic war reporter, développe dans Katrina une forme littéraire hybride en écho aux réalités de notre époque.

Katrina : Isle de Jean Charles, Louisiane

Selon le Huffington Post, les ouragans d’appellation féminine sont trois fois plus destructeurs que leurs homologues masculins au motif que, les noms de fille suggérant la douceur, les précautions prises sont moindres. « Cela prouve à quel point nos associations d’idées dirigent nos actions », estime Hazel Rose Markus, enseignante en sciences du comportement à l’université de Stanford. Et si tout n’était qu’une histoire de mots ?
C’est du moins ce que tente d’expérimenter Frank Smith dans Katrina. Cinq ans après l’ouragan qui plongea la Louisiane sous les eaux, il retourne sur le terrain. « Ce sont des noms, des lieux que tu sondes sur tous les tons possibles et à toutes les hauteurs. Des flux imprévus. Tu les creuses, tu les ronges. Ça y est, tu es dedans ». De la rencontre avec ses habitants, il livre le récit d’un voyage dans cette partie du Golfe du Mexique, oubliée des autorités américaines. Néanmoins, peu enclin aux récits produisant l’illusion d’une cohésion et d’une logique, il nous offre la matière brute et littérale d’une enquête menée auprès des Amérindiens vivant sur l’Isle Jean Charles. Son opus en est la trace composite : fragments, entretiens, panneaux indicateurs, publicitaires, brochures, extraits de livres d’Histoire, d’essais, de guides, de dictionnaires sont autant de débris (insistants) qui remonteraient des eaux après un ouragan.
Placé sous l’égide du poète objectiviste américain William Carlos Williams (comme dans Guantanamo, Seuil, 2010), cette forme de littérature contemporaine brouille les frontières entre poésie narrative et récit documentaire. Si « toute poésie est de circonstance » (Goethe), elle se doit au XXIe siècle de « déverrouiller la langue, d’atteindre le degré zéro de la représentation, de lui retirer son vernis esthétique  », déclare Frank Smith dans un entretien. C’est à cette condition que la collecte quasi ethnographique de l’écrivain devient un objet poétique à part entière. L’observation participante de Smith, qui pourrait laisser pantois les héritiers de l’anthropologue Malinowski, est un regard qui observe en témoin un monde qui lui échappe : « Après tous ces déplacements, est-ce que tu rends l’espace à sa densité ? Tu ne sais pas. Ce qui compte : l’aventure réitérée du mouvement quotidien ». Dans le même temps, l’écrivain prend conscience de sa propre ignorance et des écueils que représente une telle entreprise. Il ne sera jamais comme ces Indiens, quand bien même l’empathie serait une illusion réconfortante. Pourtant se tenir à l’évanescence de ce qui est perçu serait moins l’aveu d’un échec que celui d’une lucidité. « Tu mènes une enquête. Tu diagnostiques, tu élucides. Tu bouges dans le fragment, même de plus en plus volatil ». C’est, semble-t-il, la seule possibilité de donner à voir l’autre dans une égalité de rapport comme lorsque pour la énième fois il se rend chez Albert Naquin, le chef de la communauté : « C’est une séquence supplémentaire où tu sonnes chez Albert : il n’y a ni résumé des épisodes précédents ni aucune trace à suivre. Chaque élément de vie retombe sur lui-même dans un seul et même tremblement. Une conversation cherche sa forme et son milieu, chacun fait des efforts pour saisir l’autre dès le pas de la porte ».
La justesse de Katrina tient probablement à la distance que Smith parvient à maintenir vis-à-vis de son sujet. Sujet politique, tout d’abord, l’Isle de Jean Charles est un lieu de relégation où des individus de secondes zones résistent à un système qui les détruit depuis les origines : le colonialisme, les ouragans, l’industrie pétrolifère, le tourisme européen, l’indifférence de l’État. Un sujet esthétique : la construction savamment rythmée du texte où alternent passages narratifs et listes, le franglais comme trace sonore d’un métissage culturel, les variations de la typographie, la ponctuation, les retranscriptions agrammaticales, fidèles aux propos des habitants déplacent la langue du commun vers le poétique et l’amplifient. Sujet éthique, enfin, car plutôt que de s’avouer vaincus, les Indiens de Katrina dégagent une vitalité invraisemblable, à l’instar de Lily, une des leurs : « Dans cette volonté sans venin d’assumer une sorte de dénuement mais d’indépendance mentale, tu perçois une grande leçon de volonté ».
Et puis, il y a ce « tu » qui traverse tout le texte. Étonnant dans l’œuvre de Frank Smith, ce pronom accroît la puissance de l’ensemble en créant de brefs sursauts qui, sans jamais sombrer dans une lyrique intimiste, ne font que rendre plus présente encore la matérialité du monde autour.
Christine Plantec

Katrina Isle de Jean Charles, Louisiane De Frank Smith
L’Attente, 120 pages, 11
Du même auteur paraît Résolution des faits (Fidel Anthelme X)

L’île, espace littéral Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°167 , octobre 2015.
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