L’écriture est rapide, incisive, rageuse, douloureusement entraînante. L’univers d’Hideo Furukawa est le nôtre, en même temps qu’il ne l’est pas, qu’il ne l’est plus, qu’il ne l’est pas encore ? Soundtrack est une uchronie portant en germe un Tokyo intemporel sombrement réel, la surface faisant écho à un insoupçonnable monde des profondeurs. Tokyo, ville envahie par les moustiques, les chiens, les corbeaux, gangrenée en son sein par la tribu mystérieuse de Ceux du Talus, menacée par une troupe de filles capables de réinventer le mouvement, en faisant une danse ininterrompue, et faisant de chaque mouvement une danse, et de la danse une arme.
Soundtrack est un récit de colère et de vie, de turbulences et d’envie. C’est l’histoire d’un frère et d’une sœur qui n’en sont pas véritablement, mais qui jetés sur une île par les voies du hasard, reviennent au monde avec en eux juste assez de fêlures pour faire exploser codes et bien-pensance par des chemins détournés, avant de parvenir à se retrouver. Autant pour les scléroses d’une société japonaise trop frileuse, ici confrontée à des enjeux (immigration, réchauffement climatique) qu’elle s’avère incapable d’appréhender. Scénario improbable, certes. Que tout le talent d’Hideo Furukawa consiste donc à rendre plausible. Et plausible, il le devient, tant on entend la voix de l’auteur s’élever, au fil du texte. Ses textes se vivent et résonnent, et il décrit Soundtrack comme un « roman qui court », un chant « à la gloire des corbeaux ». Un chant assis sur les décombres d’un monde qui ressemble furieusement au nôtre, un chant à la violence tout juste mâtinée de ce fantastique élégant, insidieux, marque de fabrique d’un Murakami dont Furukawa revendique l’influence. Un fantastique déstructuré, placé au service d’un mythe réinventé, syncopé, tourbillonnant. Avec Soundtrack commence un chant, nous dit Furukawa, qui ne devrait pas s’éteindre tout de suite.
Julie Coutu
Domaine étranger Soundtrack
octobre 2015 | Le Matricule des Anges n°167
| par
Julie Coutu
Un livre
Soundtrack
Par
Julie Coutu
Le Matricule des Anges n°167
, octobre 2015.