Il ne faut pas se fier au titre faussement atone du nouveau livre d’Alejandro Zambra. Mes documents est un recueil de nouvelles à la fois nerveux et mélancolique, qui met aux prises avec leurs sentiments précaires des trentenaires finissants. Téléphoniste intermittent, avocat à moitié père, amant douteux : autant de versions possibles d’un seul et même personnage, composant le roman d’une génération de la classe moyenne arrivée à l’âge adulte après la chute de Pinochet ou l’autofiction multiple d’un jeune écrivain de Santiago. De fait, Mes documents se présente comme une suite de fichiers d’ordinateur. Cette bonne idée narrative ne donne pourtant pas lieu à une inventivité formelle ; l’ordinateur est davantage un élément de l’histoire, qui s’avère la plupart du temps démodé ou utilisé à contretemps. Il sert en effet aux personnages d’objet affectif, tels les nombreux chats qui traversent le livre, ou les cigarettes, « signes de ponctuation de la vie ». Zambra partage avec les minimalistes des Éditions de Minuit le détail acerbe, le cynisme tendre, l’humour vache, le lyrisme étouffé. Dans Bonsaï (2008) il explorait déjà les aléas du couple ; ici il creuse la fracture entre le vrai et le faux, comme dans le très réussi récit « Vie de famille », où un cousin chargé de veiller sur une maison tente de dévier son destin. Seuls les enfants savent dans Mes documents s’enivrer de bonheur en mettant tout leur sérieux dans le jeu ; les ados et les adultes, eux, ne sont bons qu’à imiter sans y croire, en amour comme en politique, tel ce personnage qui se compare au héros caméléon de Woody Allen : « J’essayai de prendre position, ou plutôt des positions erratiques et éphémères, un peu comme Leonard Zelig : je voulais avant tout appartenir (…) ».
Chloé Brendlé
Domaine étranger Mes documents
novembre 2015 | Le Matricule des Anges n°168
| par
Chloé Brendlé
Un livre
Mes documents
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°168
, novembre 2015.