Angelica Liddell est un trublionne de la scène théâtrale européenne. Exaltée, tumultueuse, connue pour ses textes et ses spectacles provocateurs, agressifs, esthétiques, violents, l’Espagnole pose sur la scène du théâtre un sulfureux mélange d’amour, de sexe, de religion et de mort, de rouge et de noir, au travers de performances qu’elle écrit, interprète et met en scène. Elle nous livre aujourd’hui Via Lucis, son chemin de lumière, un bel ouvrage bilingue composé de cinquante autoportraits photographiques, d’extraits d’un court journal intime, de poèmes et de différents textes dont certains composent en partie son plus récent spectacle, Primera Carta de San Pablo a los Corintios, troisième étape du Cycle des Résurrections.
D’emblée, le propos est clair : « Pour Baudelaire, l’Amour se confond avec la religion, et son culte a besoin de temples et d’autels, de sacrifice et de sang. » Car l’amour, de dieu ou de l’homme, est offrande de soi, besoin d’être possédée, offerte, de se fondre dans l’autre. Angelica Liddell entretient un rapport étroit et privilégié avec le sacré. Si l’amour pour un homme est sanctifié, alors cet homme devient Dieu et Angelica Liddell ne demande qu’à se soumettre à son pouvoir. Jusqu’à la douleur. Jusqu’à la souffrance. Et les photos nous le montrent. Elles mettent en scène, de manière excessivement théâtrale, un parcours dans lequel Liddell expose un corps souffrant, le sien, mutilé, supplicié, progressivement dévoilé, dénudé, jusqu’à l’extase et à l’orgasme, le tout se mêlant dans des images très sulpiciennes qui évoquent bien sûr les extases mystiques de Sainte Thérèse d’Avila. Toute une symbolique parcourt ces images : les instruments de mort, lame de rasoir, ceinture ou cravate de pendaison, crocodile, insectes, alternent avec les images de fleurs et de fruits, comme un espoir de rédemption possible. Et les voiles noirs succèdent aux blanches dentelles. L’élément pictural est également très présent dans les textes qui suivent. Mes yeux blancs comme ton sperme commence ainsi : « D’abord il y a eu la Sainte Agathe de Zurbaran, au musée Fabre de Montpellier ». Plus loin, dans Via Lucis : « J’ai dessiné au fusain le contour de Ton ombre. / J’ai juste besoin d’une ligne noire pour t’aimer. »
Le théâtre d’Angelica Liddell est un théâtre de l’esthétique et procède beaucoup par tableaux. Elle explore les tréfonds de l’être humain et nous permet de suivre sa recherche tout au long du journal qu’elle tient de février à mars 2015 : chercher l’amour, creuser l’amour, souffrir l’amour, finir l’amour et recommencer. Comme une quête incessante, éperdue, qui rapprocherait l’homme du divin, mais pour le dépasser : « Il y a le ciel de Dieu et, au-delà, Ton ciel. / Quand j’arriverai au Paradis, je devrai continuer l’ascension. » Une quête sans fin qui constitue peut-être elle-même l’objet de la quête. Mêler le sacré et le profane, le sperme et le sang, tout concourt à construire cet être souffrant. Via Lucis, le chemin des lumières, traverse les ténèbres et Angelica Liddell ne nous en épargne aucune. Plonger au plus profond de la nuit, endurer les souffrances, expier les fautes, toute l’imagerie judéo-chrétienne est mise à contribution pour atteindre l’amour. Car « Toutes les possessions, toutes les réussites, tous les succès sont lettre morte sans amour. » Comme chez le cinéaste Pedro Almodóvar, il y a chez Angelica Liddell une énergie baroque qui mêle les genres, esthétise la mort à travers les tissus, les tentures lourdes et les couleurs sombres. Elle s’interroge, et nous interroge, sur le sens de la vie, les errements du monde et nos noirceurs intérieures. Son théâtre vise à une catharsis, mais elle en connaît aussi les limites : « Le théâtre est l’endroit où s’amuser des ténèbres, où tu ressens la liberté de l’enfer. »
Patrick Gay-Bellile
VIA LUCIS
D’ANGELICA LIDDELL
Traduit de l’espagnol par Christilla Vasserot
Les Solitaires Intempestifs / Continta me tienes, 172 pages, 25 e
Théâtre Où est mon amour
janvier 2016 | Le Matricule des Anges n°169
| par
Patrick Gay Bellile
Angelica Liddell, pour qui le théâtre est « l’endroit où s’amuser des ténèbres », déploie la quête éperdue d’une force originelle.
Un livre
Où est mon amour
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°169
, janvier 2016.