Et soudain le monde s’est réuni, a formé une boule, une chose sphérique et fœtale et grisâtre, et, sans crier gare, passe par le vide-ordures du cinquième étage, cela se fait sans bruit aucun, ni de révolte soulèvement, ni de geignement pleurnichement, ni de frottement raclement / zou ! » C’est le début. Un tremblement de texte. La fin définitive d’un avant. Le point de départ d’un après. Et celui qui parle ainsi se trouve débarrassé des guenilles du monde ancien, de ses clichés datés, de ses musiques ringardes, de sa poésie révolue. Qui est-il d’ailleurs ? Rien n’est précisé, il n’y a pas de personnages, juste celui qui parle. L’auteur dirons-nous, pour le moment.
Le voilà donc seul à construire un nouveau monde, à partir de ses envies, de ses désirs, de ses rêves, à partir d’une toute petite chose qui enfle et grandit jusqu’à devenir une image, un tableau, un souvenir peut-être. Pour l’exemple : « une poussière qui grossit dans un rayon de pleine lune et se transforme en carte postale espagnole avec jupe froufroutante. » Et c’est aussi une langue qui semble partie aux oubliettes, laissant la place à d’autres, plus primordiales, plus proches de l’original : « celle du chien qui aboie sa joie pour la guerre, celle du vautour qui chante la mort et celle de la grenouille qui coasse sa faim assouvie et sa volupté voluptueuse et sa délectation délictueuse. » Celle de Rémi Checchetto s’accroche aux images, aux métaphores, aux nuances des nuages qui encombrent le ciel. Ses mots sont très concrets, très présents, le temps lui-même est aboli, nous sommes les témoins d’une naissance. De nouvelles façons de dire pour raconter ce monde, de mettre en page les caractères et les mots pour créer un mouvement, un rythme, une dynamique. « enfin / du moderne / cela faisait longtemps / rien eu de nouveau / depuis le shampooing antipelliculaire / qui d’ailleurs ne marche pas. » Le monde éclate, se disloque, nous sommes au commencement des temps, tout est neuf, frais, teinté de couleurs vives, et l’auteur le découvre avec ravissement. La majuscule et le point qui ponctuent habituellement nos lectures ont disparu. La virgule a gardé droit de cité, prenant du coup de l’importance, comme si ce nouveau monde faisait une place de choix aux petits sentiments et aux petits plaisirs comme aux petites virgules. Le texte ne raconte pas précisément une histoire : il part d’un postulat, « le monde passe par le vide-ordures du cinquième étage » et déroule ensuite le fil des possibles, le fil des souhaitables. Les hommes et les femmes ont suivi la chute du monde ancien, il les fait revenir, pareils, comme ils étaient, et les dévore. Pour lire leurs pensées, faire sienne leur énergie de vivre, se nourrir de leurs visions.
Remi Checchetto aime les formules, les listes, les redites et les répétitions. Son écriture, joyeuse et tonitruante, nous emmène aux confins de la poésie et de la corde à sauter. Il y a du jeu d’enfants dans son plaisir à faire bondir les mots, à les faire danser ; de la comptine aussi lorsqu’il reprend des leitmotivs pour lancer ses paragraphes et les voir flotter dans l’air du petit matin : « C’est le matin ou le soir ou le midi tout autant. » Il contemple sa création du haut d’un ciel peut-être et fait advenir vous, l’autre, comme un dieu peuplant l’espace de sa création. Et nous assistons à une Genèse, une création comme au premier jour. Au commencement était le monde… Et puis le petit « zou » vient régulièrement interrompre le texte, le découpant, le fragmentant en éclats parfois de verre ou de rires. Un petit mot de trois lettres qui chasse le sérieux, accélère le rythme du temps et nous amuse par son innocence autoritaire. Le texte est dense et court. Il peut et doit se relire pour en révéler toutes ses surprises. Alors une fois arrivé au bout, reprenez le début. Zou !
Patrick Gay-Bellile
ZOU de Rémi Checchetto
Éditions Espaces 34, 40 pages, 10 €
Théâtre Danser les mots
février 2016 | Le Matricule des Anges n°170
| par
Patrick Gay Bellile
Joyeuse et poétique, l’écriture de Remi Checchetto se fait le sismographe d’un monde nouveau.
Un livre
Danser les mots
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°170
, février 2016.