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février 2016 | Le Matricule des Anges n°170 | par Thierry Cecille

Édouard Louis poursuit son examen, intime et lucide, de nos fractures sociales – et des haines qu’elles provoquent.

Histoire de la violence

Un jeune homme, qui se prénomme Édouard et a publié il y a peu un livre intitulé Pour en finir avec Eddy Bellegueule, croise, un soir de Noël, un homme à peine plus âgé, Reda. Après quelques minutes d’hésitation, le désir l’emporte et Édouard invite Reda à le suivre dans son minuscule studio. Ils discutent, font l’amour, discutent de nouveau. Mais Édouard se rend compte que Reda s’apprête à lui voler son iPad et son portable – et le lui fait remarquer, précautionneusement, délicatement presque. Reda s’emporte alors, tente aussitôt d’étrangler Édouard, le viole avec une violence surprenante – et s’enfuit ensuite, presque en pleurs. Durant les heures et les jours qui suivront, Édouard, en même temps, tente de prémunir son corps contre les risques possibles (une trithérapie préventive) et se débat dans la remémoration toujours recommencée, obsédante, de ce qui est arrivé.
La couverture indique qu’il s’agit d’un roman – et cela suscite notre première réticence. N’est-ce là qu’une sorte de précaution dont userait Édouard Louis ? Il a dû affronter, en effet, après la publication et le succès de Pour en finir avec Eddy Bellegueule, les critiques outrées de membres de sa famille, de camarades ou de voisins, qui l’accusèrent d’avoir déformé ou fantasmé la réalité de son adolescence qu’il dépeignait comme sombre et violente, en proie à la bêtise et à l’homophobie. Ou bien avons-nous affaire, véritablement, à une fiction, ou plus précisément, une fois de plus, à une autofiction, avec ce que ce genre bâtard contient souvent d’accommodements avec l’authenticité, de jeu de masque ambigu ou retors, avec l’excuse désormais galvaudée du mentir-vrai  ? Ce doute ne peut que gêner le lecteur, quand on le projette, comme ici, dans un récit qui sollicite son empathie… Notre seconde réserve est liée au titre lui-même : même s’il s’agit peut-être, pour le sociologue qu’est également Édouard Louis, de rendre hommage à Foucault et à ses Histoires, de la folie ou de la sexualité, ce titre quelque peu prétentieux risque de nous fourvoyer en laissant entendre qu’il s’agira là d’une sorte de traité ou de somme sur un sujet si vaste.
L’ambition de Louis est par bonheur plus modeste : peut-être veut-il seulement élucider ce que provoque en lui, sur lui, cette violence impromptue et sauvage, d’autant plus effrayante qu’elle est le fait de celui que l’on vient de désirer, et qui nous a désiré, de celui que l’on aurait pu aimer. Le narrateur tente de mettre au jour ce retentissement, et ce que cette violence-là (r)éveille de violences antérieures, déjà subies – et la honte qui, invinciblement, longuement, dès lors torture la victime. Pour établir ce diagnostic avec le plus de justesse possible, Édouard Louis met en place un procédé qui fait la force principale et le grand intérêt du livre : le récit de cette nuit cauchemardesque est pris en charge par la sœur du narrateur, qui, après l’avoir entendu se confier à elle, en rend compte à son mari. Elle le fait, bien sûr, avec ses propres mots, avec un langage familier et fautif, avec ce patois qui lui échappe parfois, avec ces phrases brutales qui ne sont assurément pas celles, trop châtiées et donc affadissantes, dont se servirait son universitaire de frère. Dans son récit transparaît également, en effet, sa rancune envers celui qui a quitté la famille et le village, s’est éloigné d’eux en devenant un intellectuel parisien. Peut-être, soupçonne-t-elle, a-t-il même décidé d’être homosexuel pour, avant tout, différer d’eux plus radicalement encore… Comme dans le livre précédent, les pages les plus réussies sont bien celles où se lit ce que Barthes appelait « la guerre des langages » : nos langages (sociolecte : langage de notre classe sociale - et idiolecte : ce que nous en faisons, avec nos affects, nos désirs et nos dégoûts, notre corps donc) nous divisent, nous confrontent, nous poussent à nous affronter. Peut-être Reda a-t-il basculé dans la violence car il ne possédait pas les mots pour expliquer son geste ? Peut-être, malgré ses précautions langagières, Édouard n’a-t-il pas su apprivoiser la charge négative que contenaient ses insinuations, qui ne pouvaient que renvoyer Reda à sa propre honte – celle que lui avait léguée un père sans doute analphabète, paysan kabyle réduit en France au silence du travailleur immigré ? Peut-être tout cela n’aurait-il pas eu lieu, s’il avait su dire à Reda, dans des phrases comme décapées de leur insupportable vernis de classe, qu’il avait, par son enfance, ses origines, avec lui quelque chose en commun ? Peut-être sa sœur se venge-t-elle, quand elle donne ainsi sa propre version des blessures que son frère a subies cette nuit-là, de celles qu’il inflige à sa famille, sans doute involontairement mais pourtant violemment, « avec son vocabulaire de ministre » ?
Thierry Cecille

Histoire de la violence D’Édouard Louis
Seuil, 231 pages, 18

Ce que parler veut dire Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°170 , février 2016.
LMDA PDF n°170
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