Flaubert, avec Salammbô disait avoir voulu faire « quelque chose de rutilant et de gueulard ». Dans une lettre, il évoque son écriture : « J’éventre des hommes avec prodigalité, je verse du sang, je fais du style cannibale. » Et de fait, le lecteur est entraîné dans un tourbillon de sang, de soleil et de feu, une sauvagerie sensuelle que découvrit – dans sa traduction en japonais – Yokomitsu Riichi (1898-1947), un romancier de la même génération que Kawabata et Akutagawa. Littéralement ensorcelé par l’œuvre, il décida d’écrire une Salammbô japonaise. Soleil était né (1924).
Le cadre est celui du Japon primitif d’avant l’écriture et la sinisation. Nous sommes au début du IIIe siècle, dans l’île de Kyûshû alors divisée en nombreux petits pays ou chefferies. Un Japon dans un état de quasi nature, peuplé de barbares qui semblent ne vivre que pour la guerre, la chasse et l’orgie. L’histoire qu’imagine Yokomitsu est celle des débuts de Himiko, princesse d’un de ces petits pays, qui deviendra une reine-chamane et fut sans doute à l’origine de l’unification d’une partie du Japon protohistorique.
À la fois conte sanglant et roman mâtiné de manga, Soleil nous plonge dans un ailleurs radical où la vie humaine est encore très étroitement liée à la vie animale et au monde naturel. Un monde où tout est excessif. On décapite, on écorche, on pille, on viole. Dans cet univers où le plus violent côtoie parfois le plus délicat et où les êtres obéissent à des déterminations simples, Himiko va voir, en quelques semaines, son premier mari être tué à coups d’épée, son second mourir transpercé d’une flèche, et sera le témoin, ou la cause, de dizaines de meurtres. C’est que sa beauté fascine et déchaîne des passions qu’elle finira par utiliser pour obtenir vengeance et fomenter l’anéantissement mutuel de ses persécuteurs. « Ah, rois de la terre, regardez-moi ! Je rayonnerai sur vous comme le soleil ! » Mené sur un rythme haletant et écrit dans un style très cinématographique, ce court roman baigne dans un halo onirique qui participe du plaisir qu’on a à le lire. Richard Blin
SOLEIL DE YOKOMITSU RIICHI
Traduit du japonais et postfacé par Benoît Grévin, Anacharsis, 128 pages, 16 €
Domaine étranger Beauté tranchante
mars 2016 | Le Matricule des Anges n°171
| par
Richard Blin
Un livre
Beauté tranchante
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°171
, mars 2016.