Fréquenter les chemins balisés n’est pas sans dangers. Curieux axiome que ce recueil de nouvelles démontrera si besoin était. Chacun des cailloux du sentier où l’auteur avance d’un pas trop assuré semble cacher quelque référence littéraire évidente, une série de noms plus ou moins disparate qui reliés ensemble configurerait une certaine carte des lettres du vingtième siècle (hispanophone, mais pas seulement). Une écriture de l’invention paradoxale, du conte fantastique, de l’inquiétante étrangeté, de la biographie apocryphe ou du jeu littéraire. Borges ou Calvino, Cortázar ou Wilcock, Schwob ou Perec semblent embusqués derrière chaque buisson, trop rachitique pour bien les cacher. Règne alors un air de famille gênant. On pourra également ajouter en grandes lettres de craie sur le tableau le nom du Guatémaltèque Monterroso, cité en guise de prologue, ce qui permet à Martín Sánchez de revendiquer à travers les mots d’un autre l’identité diverse de sa boîte à malices hélas pas si malicieuse. Piquer son job à la mort lorsqu’elle vous rend visite ; l’écriture poétique comme prolongation du corps sous forme de doigts en crayons ; le monde en proie au sommeil car c’est dieu qui ronfle à tue-tête ; un comique qui saborde son spectacle dans l’espoir de dérider un vieillard au visage paralysé, etc. Autant de saynètes qui se lisent sans déplaisir, la facture meuble du style y contribuant. L’on ne peut s’empêcher de regretter pourtant une fantaisie si peu chahutée, contrôlée jusqu’à mettre les deux pieds dans le plat de l’évident, ne quittant jamais les confortables casiers d’une invention molle qui à force de chercher l’effet de surprise avec de gros sabots en finit par trébucher sur la routine du prévisible. Difficile d’écrire depuis une tradition (fût-elle élastique) sans en tirer les conséquences. Le lecteur, lui, le fera. Il lui suffira d’aller fureter dans sa bibliothèque.
Guillaume Contré
FRICTIONS
DE PABLO MARTIN SANCHEZ
Traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint Lu, La Contre allée, 224 pages, 18 €
Domaine étranger Frictions
mars 2016 | Le Matricule des Anges n°171
| par
Guillaume Contré
Un livre
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°171
, mars 2016.