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Intemporels Cinéma intérieur

juin 2016 | Le Matricule des Anges n°174 | par Didier Garcia

Le romancier argentin Manuel Puig projette le lecteur dans l’univers carcéral, pour un huis clos des plus troublants.

Le Baiser de la femme-araignée

Voici un roman fait de trois fois rien. Pas de narrateur pour guider les personnages et les emmener là où le destin a prévu de les laisser. Pas d’intrigue à proprement parler (au moins dans la première moitié du volume), sinon le seul passage du temps. Un lieu unique : la cellule d’une prison située dans le quartier de Villa Devoto, en plein cœur de Buenos Aires. Et deux protagonistes que tout oppose (on aurait du mal à réunir dans une même pièce deux êtres plus dissemblables) : Molina, 37 ans, prisonnier de droit commun, qui parle de lui en usant de noms féminins, condamné pour « délit de corruption de mineur » ; et Valentin, 26 ans, prisonnier politique, persuadé que le plus important dans la vie est la révolution sociale, et parfois désireux de s’octroyer quelques heures de travail (autrement dit de lire un peu, n’en déplaise à Molina).
Contraints à la cohabitation forcée (laquelle en fait avant l’heure une sorte de vieux couple, n’ayant plus rien à se cacher, pas même leurs petites misères intestinales), les deux détenus passent le plus clair de leur temps à dialoguer. Un dialogue qui se cristallise autour des films que Molina raconte à son compagnon de cellule avec un authentique talent de conteur (une sorte de Shéhérazade qu’aucune menace de mort n’incite pourtant à bien raconter).
Pendant que l’un ressuscite ses souvenirs de cinéphile et que l’autre écoute, buvant littéralement les paroles du premier, chacun en profite pour oublier la crasse de leur cellule et s’évader dans cette parenthèse cinématographique. Le répertoire de Molina puise dans la veine fantastique, comme lors de l’évocation minutieuse de La Féline de Jacques Tourneur (1942), dans lequel une femme panthère tue ceux qu’elle embrasse, ou dans la veine historique, comme dans Destino (film inventé de toutes pièces), où il est question d’un amour impossible entre une jeune femme française et un officier nazi. Mais peu importe ce que ces films relatent : l’essentiel est que ce chuchotement continu tisse au fil des jours une sorte de cocon, à l’intérieur duquel on voit le conteur Molina mettre en place une relation maternante des plus troublantes. Et que l’un parfois interrompe l’autre, s’autorise une remarque, un commentaire, ouvrant ainsi une nouvelle parenthèse au sein de la première, et dans laquelle les deux compagnons échangent leurs points de vue sur une question, débattant parfois sur deux ou trois pages.
Contrairement au couple Vladimir / Estragon d’En attendant Godot de Samuel Beckett, qui parle de tout et de rien uniquement pour tuer le temps (ils ignorent si Godot va venir), les codétenus parlent pour élaborer de la pensée et sauver ce qui peut encore l’être (eux n’attendent personne) : « tant que je suis enfermé ici, je ne peux rien faire d’autre que de penser à des choses belles, pour ne pas devenir fou ». Et puis il y a autre chose entre eux. Un quelque chose qu’on ne sait exactement comment nommer. Et qui gêne d’abord un peu. On s’explique mal par exemple d’où vient à Molina cette espèce de grande tendresse qu’il semble éprouver envers Valentin (même si l’on sait rapidement que cette « folle » n’aime que les hommes). On comprend mal la bonté avec laquelle il veille sur le quotidien de Valentin, allant jusqu’à supporter ses déjections fécales avec une indulgence qui étonne. Et soudain, environ à mi-parcours, on surprend Molina à comploter avec l’administration pénitentiaire : cette dernière a passé avec lui un marché, lui promettant une libération anticipée en échange d’informations sur le réseau de Valentin… Molina doit donc s’attirer la sympathie de son compagnon de cellule, quitte à le choyer comme le ferait une mère avec son enfant. Tout était-il trop beau pour être vrai ? Même pas, car la relation entre les deux hommes va s’enrichir de moments plus intimes, et Molina va alors faire tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas extorquer d’aveu à Valentin. Pour ce dernier, Molina restera « la femme araignée, celle qui emprisonne les hommes dans sa toile ».
La réussite de Manuel Puig (1932-1990) est d’avoir su rendre émouvant (mais aussi dérangeant) ce roman pudique et délicat aux allures de pièce de théâtre, riche de ce seul et unique dialogue, chaque jour renouvelé, et augmenté parfois de longues notes infrapaginales relatives aux théories psychanalytiques sur l’homosexualité. Grâce à leurs paroles, les deux hommes parviennent à fuir l’univers carcéral, à oublier leurs privations et à construire un monde qui leur est propre, dans lequel le rêve occupe une bonne place et où ils trouvent à vivre quelques minutes de bonheur authentique (un soir Molina surprendra même Valentin en train de rire). Et ce qu’il y a de bien quand on est heureux, que l’on soit en prison ou ailleurs, c’est que l’on a l’impression « que c’est pour toujours ».
Didier Garcia

LE BAISER DE LA FEMME-ARAIGNÉE
DE MANUEL PUIG
Traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan,
Points, 352 pages, 8,70

Cinéma intérieur Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°174 , juin 2016.
LMDA papier n°174
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