Je fais un long tour dans l’oliveraie. Il souffle un vent fort, générant un fracas comme la mer dans la tempête ; au-dessus de ma tête les branches se plient, en gémissant et en craquant. Des troncs bossus et noueux, certains sont creusés, rongés comme par un mal long et invincible ; des branches qui ressemblent à de gigantesques membres rigidifiés dans une attitude de fureur et d’horreur ; et en haut les feuillages, énormes fleurs écloses miraculeusement. Çà et là les branches de différents arbres, en se croisant, cachent le ciel. Quand le vent ne souffle pas, l’oliveraie est comme un temple silencieux et solennel ; il y règne une grande paix. » C’est avec une semblable attention, comme alertée et méticuleuse, que le narrateur observe et décrit, autour de lui, la terre et les hommes qui la travaillent, ses modestes possessions, qu’il défend avec ténacité, aussi bien que la misère à laquelle la plupart des paysans tentent d’échapper. Pendant quelques mois, de décembre à juillet, il tient ce journal, sans doute pour tenter de mettre au clair ce qui lui arrive, en ces temps troublés. Quelques indications discrètes, en effet, nous permettent de deviner que la Seconde Guerre mondiale vient de s’achever et que s’annonce, peut-être, une ère nouvelle. Des « mots ampoulés appris dans les meetings » circulent parmi les journaliers, certains propriétaires s’inquiètent : « un droit de dépouiller » serait désormais accordé aux dépossédés qui jalousent leurs biens. Un jour « ils passent dans la rue derrière un drapeau rouge » – puis viennent des émeutes et une longue grève destructrice.
Le traducteur Erik Pesenti Rossi précise dans sa présentation qu’il est assez difficile de mesurer exactement la distance qui sépare l’auteur de son narrateur : « Si l’écrivain athée Semirana est très éloigné du conformisme religieux de son personnage, il partage cependant avec lui ses positions politiques modérées, favorables à une redistribution aux paysans des terres que les grands latifundistes laissent à l’abandon, mais à condition de ne pas spolier les petits propriétaires comme lui. » Il rappelle que Semirana (né en 1903, il mourut en 1984) connut un certain succès durant « la saison du néoréalisme littéraire » puis tomba progressivement dans l’oubli. Il est certain, cependant, que ce roman mérite d’être redécouvert, car on y trouve ce que saluait ainsi Italo Calvino, au moment de de sa publication en 1951 : « le rythme de ces journées à la campagne, les petits enseignements que l’on retire de chaque geste et de chaque rencontre, (…) la manifestation prudente des sentiments, tout cela à travers un langage tranquillement cultivé et sensible aux satisfactions et à l’amertume ».
C’est en effet avec une sorte d’empathie mesurée, d’attentive préoccupation, que nous suivons le narrateur, partageant avec lui les longs soucis ou les joies éphémères que lui procure la terre. Nous le voyons également livré à la tentation face à la désirable Michelina, jeune servante qu’il a recueillie chez lui à la mort de sa mère. Mais son épouse veille sur lui et parvient à la fois le guérir de cette passion et à la lui pardonner. Nous ne pouvons qu’apprécier cette forme de sagacité qui le fait regarder autour de lui sans jamais tomber ni dans le mépris ni la pitié, sentiments trop naturels auxquels il sait résister. Nous admirons surtout ces paysages au milieu desquels il vit et qu’il décrit avec une tendresse admirative : « Sous le ciel gris la réverbération de la neige est comme une lumière qui se dégage de la terre. L’air est froid, et par moments des rafales de vent secouent les arbres. En descendant dans la vallée, je regarde entre les oliviers sur le bord de la route et je découvre des blessures fraîches ; sous le poids de la neige des branches se sont brisées, et les arbres tendent leurs bras cassés vers le haut. »
Thierry Cecille
Le Vent dans l’oliveraie
de Fortunato Seminara
Traduit de l’italien par Erik Pesenti Rossi,
Belles Lettres, 181 pages, 21,90 €
Domaine étranger La terre et les jours
juillet 2016 | Le Matricule des Anges n°175
| par
Thierry Cecille
Au sortir de la guerre, l’Italie rurale gronde : Fortunato Semirana imagine le journal d’un petit propriétaire terrien qui voit son univers trembler.
Un livre
La terre et les jours
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°175
, juillet 2016.