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Domaine étranger Au trou

septembre 2016 | Le Matricule des Anges n°176 | par Valérie Nigdélian

Premier roman traduit en France de l’Italien Maurizio Torchio, Sur l’île, une prison dresse l’âpre et accablant constat de ce que le système carcéral fait des hommes.

Sur l’île, une prison

Il a arpenté les couloirs de la prison de Bollate, près de Milan. Rencontré des acteurs du système pénitentiaire italien. Lu ou écouté les témoignages d’anciens détenus, de victimes, de journalistes. Plongé dans les grands récits romanesques de Jack London (Le Vagabond des étoiles), Jack Henry Abbott (Dans le ventre de la bête) ou Norman Mailer (Le Chant du bourreau). Mais Maurizio Torchio n’est pas un prisonnier, ne l’a jamais été : diplômé de philosophie et docteur en sociologie de la communication, il travaille aujourd’hui au Centre d’archives Fiat. Écrit après cinq années de documentation et d’étude, Sur l’île, une prison, son second roman, n’en est que plus stupéfiant : pas un énième livre sur la prison, mais une claque, digne de celle que Jacques Audiard nous avait assénée avec Un prophète en 2009.
Italie, années 1980 ou 1990 – quand l’enlèvement et la séquestration contre rançon de (supposés) riches entrepreneurs ou de leurs enfants s’élevaient au rang d’une véritable industrie. Le dispositif est simple : quatre murs de béton, au plafond une ampoule, au sol un trou, et un corps, nu. C’est le mitard, « la prison de la prison »  : du fond de sa cellule d’isolement, un homme parle. Raconte la détention – déjà vingt années passées pour avoir séquestré la fille d’un torréfacteur, la « Princesse du café », et devant lui la perspective d’y finir ses jours depuis qu’il a assassiné un gardien. Un homme ? Plutôt une voix, dépourvue d’identité : un simple « je », ce qu’il reste lorsque tout vous a été enlevé – tout, sinon votre conscience et « la meute des souvenirs ». De ce lieu en négatif (ni liberté ni perspectives, ni jour ni nuit – une épure telle qu’elle en est presque beckettienne), la voix dit la férocité et l’absurdité du principe carcéral : priver, réduire, nier, « contraindre quelque chose à rester petit. Ça fait cinq ans que je n’ai pas pris l’air. Ma cellule fait quatre pas de long et deux bras écartés de large. Si je me mets sur la pointe des pieds, je touche le plafond. C’est un espace à échelle humaine. À mon échelle ». Mais sans colère ni questionnement : les humiliations programmées, la rage glacée qui sourd en permanence et explose à la moindre occasion, la violence comme mode de gestion du collectif, sont énoncées comme un donné brut et incontestable – un tribut nécessaire à la survie de ce grand corps de béton, qui respire, espère, tremble, hurle, cogne, en des spasmes et des sacrifices ritualisés. Qui, sous couvert de sécurité, fantasme l’Ordre et plie les corps « sur commande » à l’impératif de visibilité.


Une écriture dénuée de tout affect


Car c’est bien elle, la prison, le personnage principal du roman. Et la voix de dire comment elle rétrécit les hommes, les transforme en bêtes ou en machines. Comment elle digère à l’identique gardiens et détenus dans son ventre gris, les assigne à une même misère affective et sexuelle, une même brutalité froide et nécessaire, une même déshumanisation. Dans ce système qui s’autoalimente de la frustration des uns et de la cruauté des autres, tous sont victimes, de quelque côté qu’ils soient des portes blindées : du plus haut de la hiérarchie (« Commandant », le directeur de la prison, errant la nuit dans les couloirs jusqu’à s’y perdre, hagard) au niveau le plus bas (les chiens, qui à l’instar des hommes, « vivent dans un couloir de cinq mètres de large, encastré entre un mur de quinze mètres de haut et une façade de dix mètres de haut. Ils courent dans une fente vide. Il est naturel que ce qu’ils désirent le plus est de voir apparaître quelque chose qui donne un sens à toute cette course, quelque chose à tuer »).
L’écriture est brute, sèche, dénuée de tout affect ou de toute visée moralisatrice. Ni bien ni mal : on passe de page en page les dents serrées, sidéré par ce trou noir qui écrase et détruit – sans perfidie ni méchanceté, mais simplement par une sinistre inertie – tous ceux qui se tiennent un temps entre ses murs.

Valérie Nigdélian

Sur l’île, une prison, de Maurizio Torchio
Traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza, Denoël, 258 pages, 16

Au trou Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°176 , septembre 2016.
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