Magyd Cherfi, vous abordez dans Ma part de Gaulois la question de l’identité par la lorgnette du déficit. « L’expression française », dites-vous, « c’est d’être français et de devoir le devenir ». Autant de thèmes qui étaient déjà présents dans Livret de famille et La Trempe, vos deux recueils de chroniques. Avec toujours cette idée qu’on écrit « en réaction à »…
Oui, forcément, c’est un antidote dans la mesure où ça finit par être un soin. Et lorsqu’on est dans les tourments de l’âme, il faut qu’on ait les armes. Mais qu’est-ce qu’on a comme arme, sinon celle d’avoir été aimé – et donc préparé au monde ? Moi j’ai trouvé les mots, et dans chaque mot autant de clés. Un peu comme un geôlier qui a en sa possession les clés des portes de toutes les geôles. Je pense que j’ai sauvé ma peau comme ça. Et parfois, le simple fait d’arriver à se poser la bonne question, ça ne vous guérit pas mais au moins ça vous permet d’avancer.
La réponse à ça réside peut-être dans la terrible phrase de la mère, au moment de l’obtention du diplôme : le « laisse brûler ce qui ne cuit pas pour toi ». Là, on n’est jamais tant dans le dynamitage du mythe de la citoyenneté…
Chez les pauvres, la solution, c’est le recours à la violence. C’est : « Il faut que je te cogne, avant que les autres te cognent. Il faut que je te violente pour que ton cuir soit tanné. Pour que tu puisses affronter un monde qui, forcément, sera violent. » Et donc une des pistes, chez ma mère, a été celle-là. La cruauté de cette phrase, elle se double du discours suivant : ne pense pas toujours à autrui, fais en sorte de penser aussi à toi. Il y a des cruautés comme ça qui vous protègent, qui vous musclent.
Il y a bien sûr pour le narrateur le diktat du pigment qui serait garant de l’identité française. Mais il y a aussi celui d’une virilité déglinguée typique des quartiers. L’écriture serait alors un moyen d’échapper « à la jungle des hommes », dites-vous.
Quand on parle du diktat de la virilité, on revient toujours à la misère sociale, affective et matérielle, qui fait que le muscle, souvent, prend le pas sur l’esprit. Parce que c’est la seule arme des pauvres. À un moment donné il faut casser des dents et ne pas discuter, parce qu’on n’a pas les outils de la discussion. Je suis né au milieu de tout ça. J’ai vécu à la fois à l’intérieur d’un cocon avec ma famille et ma mère, qui me protège comme une louve. Littéralement. Et tout de suite franchi le seuil de la porte, c’est la loi du talion. Je suis donc dans cette espèce de double vie qui me permet de dire : « Je ne choisirai pas la violence. » Parce que je pèse le pour et le contre, et je fais le choix des mots et de l’élévation de l’esprit. Mais en regrettant toujours de ne pas être adepte de la violence, parce que c’est être en solidarité avec les pauvres. Je suis donc en permanence dans un tiraillement – être à la fois un boxeur qui se sert de ses poings et l’auteur qui se saisit d’un stylo....
Entretiens Éclats d’en france
novembre 2016 | Le Matricule des Anges n°178
| par
Benoît Legemble
Un auteur
Un livre