Insulaire convaincu, le facteur Gabriel est un philosophe de la distribution, un humaniste lettré. Chaque jour, il porte lettres et factures avec une conscience professionnelle sans faille. Quand il devient le messager involontaire d’un mystérieux corbeau, ses administrés commencent toutefois à se regarder en chien de faïence. Christophe Carlier situe son thriller malicieux sur une île « rincée par les pluies, battue par les vents ». Le mystère y réside de manière naturelle, comme appelé par les éléments déchaînés. Quant à l’horizon infini, il est le pendant opposé de ce bout de terre perdu. L’auteur utilise ces contradictions pour expliquer la psychologie de ses personnages. Libres, mais prisonniers du site, en communauté, mais finalement bien seuls. Une femme aurait une sœur cachée, un homme grugerait le fisc : en deux phrases florentines le corbeau assassine. Pour Christophe Carlier, c’est l’occasion de dresser une galerie de portraits savoureuse. Quelques mots lui suffisent pour peindre un caractère. Valérie, irréprochable, tient le bar La Marine, le quartier général du coin. Le gendarme Gwenegan y trouve ses renseignements les plus pertinents. Irène, veuve, vit à l’écart du bourg : « sa nostalgie a des airs de rancune ». Quant au pauvre Tom, il « regarde le monde avec des yeux vides ». Victimes et suspects se confondent et l’île sombre dans la névrose. Quelques tentatives bien intentionnées pour recréer du lien social, comme la création d’un groupe de parole, ne font qu’envenimer les choses. Émilie, pétillante dame âgée, a toutefois la bonne idée de se proclamer « corneille ». À chaque lettre de l’importun, elle se fend d’une contre-missive bienveillante. Si le livre de Christophe Carlier a des airs de fables de La Fontaine, il n’en pose pas moins des questions fondatrices. Toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ? Le contrat social implique-t-il une part de mensonge ou d’hypocrisie pour ménager les tensions ? Autant de sujets traités avec finesse dans ce polar sans cadavres, ou presque. Franck Mannoni
Ressentiments distingués de Dominique Carlier
Phébus, 174 pages, 16 €
Domaine français Ressentiments distingués
février 2017 | Le Matricule des Anges n°180
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°180
, février 2017.