Il existe une écriture, note János Pilinszky, « commune au hasard et à la douleur ». Cela même se lit en exergue du nouvel ouvrage d’Ariane Dreyfus. L’on retrouve ainsi les « sources, si vives », que sont pour l’auteure la littérature, le cinéma, la photographie, ou encore la danse. Scènes et personnages prennent place dans le cadre d’un monde retraduit à l’aune du langage. À cela vient se greffer un souffle venu du désir d’empathie. Dans un texte intitulé « Un chantier de poème », Ariane Dreyfus explicite les étapes d’un remarquable travail de patience et d’exigence : chaque mot ainsi que chaque vers est pesé pour ce qu’il permet ou non, de justesse. Le poème dont elle retrace la genèse, Un soir d’été, évoque l’excision que subissent des jeunes femmes, mutilation dont la violence s’impose d’être dite, et décrite, comme au plus près. Ce sont là de très belles pages donnant à voir ce que peut servir le langage quand il n’est pas un instrument de charcutage, ainsi que tout à coup Ariane Dreyfus nomme son propre travail, prenant conscience de la mise en abyme, opérée ici presque à son insu. Omniprésent, le jeu constant entre l’absence de la lumière, et sa présence, ruisselante comme l’eau, mais aussi les êtres vivants et la nature, toute manifestation de vie, de mouvement, lignes et rythmes que l’œil ne saurait suivre sans le cœur, car celui-ci n’est pas qu’un mot, mais le lieu de nos croyances, de nos naïvetés, de nos émerveillements : « Parce qu’il y a une page devant moi / Je ne veux pas fermer les yeux / Si je tâtonne, si je suis assez lente, / Le poème ira quelque part ». Toute trace de vie, de la plus intime à la plus insignifiante, susceptible de disparaître est là mise au jour et ressaisie, et à nouveau prête à retenir le regard. De poème en poème, une certaine idée du temps chemine, temps vécu tout autant qu’à venir. Et extraordinaire fluidité, le quotidien de nos existences, tel qu’il est parfois ici relaté, n’en est pas moins suspendu à l’écriture qui, pour ne pas en faire disparaître l’ébauche, par trop de mots, en dessine les simples contours. Ce qui est lumineux, transparent, révèle le langage du vivant, et dans le présent de ce qui nous est donné à voir, c’est une part d’ombre qui pointe en contrepartie, tandis que la précarité d’un moment nocturne, ou crépusculaire, s’esquisse.
Mais ce à quoi invite Le Dernier Livre des enfants, c’est tout aussi bien à une sorte de voyage immobile, tel que Amherst (Emily Dickinson) le suggère. L’évocation de « l’arbre du XIXe siècle », dont « l’écorce n’a pas cessé de vivre », qui désigne ici métaphoriquement la poétesse américaine, n’est pas sans rappeler les mots de Jean Starobinski : « Le portrait du poète est aux confins de son chant. Le futur ne demeure-t-il pas ouvert à cette musique qui grandit comme un arbre dans la liberté du ciel ? »
Emmanuelle Rodrigues
Le Dernier Livre des enfants, d’Ariane Dreyfus, Flammarion, 172 pages, 16 €
Poésie L’invitation au voyage
février 2017 | Le Matricule des Anges n°180
| par
Emmanuelle Rodrigues
La poésie d’Ariane Dreyfus est une célébration de la vie.
Un livre
L’invitation au voyage
Par
Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°180
, février 2017.