Le troisième ouvrage de Sébastien Ménestrier, compositeur et interprète, nous déporte dans les camps de travail soviétiques, au cœur d’une Russie glaçante. Le Suivant, c’est Aliocha, un jeune homme puni comme ses compagnons pour des motifs indicibles, voire incertains. Malgré la fatigue et la faim qui le ronge, ce dernier observe avec une étonnante avidité le monde brisé dans lequel il évolue. Il admire ces « hommes forts, leurs bras épais et les tatouages dans leurs cous, leur façon de faire le vide autour d’eux ». L’un d’entre eux se détache, presque immédiatement : « le garçon ». Sa présence imprègne le dortoir tout entier. Lorsqu’il parle, chacun est pendu à ses lèvres. Lorsqu’il marche, on le suit. Il n’est pas une bête, « un serpent », comme les autres. Lui seul semble avoir conservé sa dignité passée. Peu à peu, Aliocha imite sa démarche, son attitude, jusqu’à en devenir une copie parfaite. « Lorsque j’entends ma voix sur les toits, qu’elle est forte et sûre, cette voix c’est celle du garçon, mes gestes sont les siens », comprend-il.
Le cadre spatio-temporel flou dans lequel baignent les personnages se précise à la sortie des camps. Aliocha a supplanté le garçon, décédé quelques semaines plus tôt à l’infirmerie. Il revient à Lyudinovo, cette « ville étendue, sans forme, avec des immeubles et des terrains vagues qui les séparent, des chiens ». La vie y est rythmée par l’usine, l’ennui et la solitude. Puis il part construire une ligne de métro à Moscou, où il rencontre par hasard la femme du garçon, dont il tombe amoureux. Leur quotidien ensemble est dur, isolé et laborieux. Aucun divertissement ne vient les troubler, pas même celui, léger, délicat, des livres. « Je ne comprenais pas à quoi ils servaient puisqu’ils nous laissaient si seuls, je n’en ai lu aucun », avoue le narrateur. Et le temps s’écoule ainsi, fluide, inéluctable.
Les courts fragments qui dessinent le destin d’Aliocha oscillent entre poésie et récit, sans jamais trancher. L’écriture épurée de Sébastien Ménestrier dresse une histoire énigmatique, pleine de silence et de douleur. Reclus dans leurs univers, les personnages semblent attendre une tragédie, quelle qu’elle soit. Ravages de la maladie, petits et grands désastres de tous les jours, menaces sinistres : autant de voies banales qui, en Russie, conduisent un homme à sa tombe dans l’anonymat le plus complet. Inspiré par La Fin de l’homme rouge, Le Suivant est un modeste hommage à l’œuvre de Svetlana Alexievitch. À travers le parcours d’Aliocha, Sébastien Ménestrier rappelle tous ces travailleurs forcés, broyés par un pays totalitaire. « Il y a cette frontière, partout, entre ceux qui ont fait quelque chose et ceux qui n’ont rien fait. »
Camille Cloarec
Le Suivant, de Sébastien Ménestrier
Buchet-Chastel, 128 pages, 12 €
Domaine français Une mécanique parfaite
mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181
| par
Camille Cloarec
Dans un registre à la fois poétique et historique, Sébastien Ménestrier raconte le destin emblématique et anonyme d’un jeune citoyen soviétique.
Un livre
Une mécanique parfaite
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°181
, mars 2017.