Sans prétendre tomber dans le cliché ou le raccourci facile, il convient de dire que s’agissant d’un écrivain tel que le Mexicain Sergio Pitol (Puebla, 1933), la biographie et l’œuvre tendent à se confondre. Ce qui, chez un auteur que l’on présente généralement comme un « écrivain voyageur », ne devrait pas surprendre. Néanmoins, cette définition – comme toute définition, probablement – tend à être réductrice : on ne trouvera pas dans les romans, les nouvelles, les essais et les chroniques de l’auteur de La Vie conjugale ce qui fait l’ordinaire de la littérature de voyage, même si beaucoup de ses récits ont lieu dans les villes et pays qu’il a fréquentés. L’exotisme benêt, celui qui n’a d’autre urgence que de s’ébahir face à la première petite différence venue, ne l’intéresse pas, de même qu’il ne se contente jamais dans ses complexes constructions narratives de collectionner les cailloux ramassés au bord du chemin. Si jamais il ramène des pierreries et autres colifichets de ses pérégrinations, ce ne sera que pour mieux en faire briller aux yeux du lecteur les reflets trompeurs. Lorsqu’on le suit à Boukhara ou Samarcande, en Ouzbékistan, ce n’est pas vraiment pour faire dans la couleur locale. À moins que la couleur locale ne soit conçue comme un jeu de chausse-trappes. Car chez Pitol, la différence, puisque différence il y a – géographique et surtout culturelle –, est souvent radicale, fascinante, ridicule, inquiétante, jamais sereine. On n’est pas là pour se contenter de l’observer, et si jamais elle est un miroir au bord du chemin – qu’il s’agisse d’une ruelle de Varsovie ou d’un palais d’Asie centrale – ce miroir ne saurait que renvoyer les personnages à leur propre médiocrité, à leurs ambitions perdues, à leur difficulté à comprendre le réel. La perplexité et l’ambiguïté dominent, toujours.
Sergio Pitol, l’écrivain diplomate – il fut attaché culturel à Belgrade ou Moscou, puis ambassadeur à Prague –, ne prend jamais autant de plaisir qu’à dépeindre – perversement, jamais rageusement, ce n’est pas son genre – un véritable « carnaval des vanités », pour reprendre le titre d’un essai lui ayant été consacré. Et cette carrière de diplomate qui fut la sienne lui aura certainement permis de côtoyer de près tout un monde de pédants et de frivoles. « L’Obscur frère jumeau », qui conclut l’anthologie que nous propose LaBaconnière, en est un bel exemple : on y écoute – on y supporte, plutôt – une dame pérorer lors d’un dîner à l’ambassade du Portugal. Cette situation – un fat sûr de lui qui ennuie des interlocuteurs auxquels il ne prête nulle attention avec un récit sans intérêt où il ne saurait que se donner le beau rôle – se répète régulièrement chez Pitol. Ainsi, dans son roman Mater la divine garce, les pérégrinations turques d’un Mexicain aussi imbu de lui-même que ridicule le mèneront à quelques déconvenues tragicomiques dans un bal de faux-semblants mené grand train. Et il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même et à sa propre bêtise,...
Événement & Grand Fonds L’art de l’atmosphère
L’édition d’une anthologie des meilleures nouvelles du grand écrivain mexicain est l’occasion de redécouvrir son univers fait de chausse-trappes où se révèlent mystérieusement tant nos angoisses que nos vanités.