Et si les clichés n’existaient que dans nos têtes ? Et si tout était plus drôle, grave et complexe que prévu ? C’est ce que semble demander François Beaune avec sa Vie de Gérard en Occident, assemblage de témoignages vendéens de « Monsieur Tout le monde » pour élaborer une fiction-documentaire frappante de fraîcheur – digne continuation de celle qu’il esquissait déjà avec La Lune dans le puits, des histoires vraies de la Méditerranée en 2013. Dans la bourgade imaginaire de Saint-Jean-des-Oies (que l’on rapprochera sans mal d’un Saint-Jean-de-Monts en hiver), Gérard Airaudeau, « gauchiste-écolo-fumier » comme le surnomme le fils du maire, prépare la venue de Marianne, députée locale qui souhaite rencontrer « de vrais gens ». Tout en prenant l’apéritif, il divague dans les souvenirs du coin, impressions locales, joies et difficultés de tous les jours, les restituant dans une langue simple, pleine de trouvailles spontanées, à l’attention d’Aman, un réfugié érythréen accueilli chez lui depuis peu. Et puis ? Et puis cela suffit : plus de 120 récits minuscules s’ensuivent. L’un évoquera « l’invasion des réfugiés parisiens » à venir, l’autre ces « enseignants qui ressemblent à une bande de détenus qui cherchent à s’évader », ailleurs on s’attardera sur ce fauconnier déçu et reconverti en fonctionnaire de mairie, autre part de Justine, qui rend Gérard « fleur bleue » et le fait pleurer quand il vient la chercher à la gare, ou encore de la peine qu’ont les Éthiopiens à obtenir un visa parce que « leur dictateur est moins cruel que celui des Érythréens ». Partout des histoires uniques et communes, des idées filantes, des absurdités politiques et de l’humour involontaire. Du vécu humainement singulier, que François Beaune capte avec une attention dénuée de complaisance comme de cynisme, là où, peut-être, une oreille inattentive et pressée n’aurait perçu que le retour du même archétype de la Vendée. Et c’est la force de ce livre que de savoir, à la manière d’une Svetlana Alexievitch, « libérer chaque humain de sa propre banalité » pour récolter l’étrangeté commune des souvenirs de ces personnes qui « ici, ne sont pas mieux qu’ailleurs » mais pas pire non plus, juste ordinairement extraordinaires. Comme l’effet d’une bouteille de Mélusine quand on est assoiffé.
Blandine Rinkel
Une vie de Gérard en occident de François Beaune
Verticales, 279 pages, 19,50 €
Domaine français Une vie de Gérard en Occident
mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181
| par
Blandine Rinkel
Un livre
Par
Blandine Rinkel
Le Matricule des Anges n°181
, mars 2017.