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Poésie Archéologie du poème

mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181 | par Christine Plantec

Avec Échange longue distance, Thomas Kling s’empare à bras-le-corps du passé douloureux des hommes en conduisant le langage aux confins du vertige.

Echange longue distance

Vallée de la Ruhr, 1999. Il faut imaginer un homme, la quarantaine, écrivant depuis le mirador d’une base militaire désaffectée. Cet homme, c’est Thomas Kling, enfant-terrible de la poésie allemande, il vit là depuis quatre ans. Le point de vue panoptique que lui impose ce belvédère n’exclut pas que l’œil s’immerge au cœur de la réalité. Et peut-être même que cette position de guet favorise la perspective que Kling semble adopter pour tous ces textes : une alliance singulière faite du vol altier de l’épervier et de la myopie scrutatrice de l’archéologue.
En ce sens, Échange longue distance est une entreprise audacieuse et cela ne tient pas uniquement aux sept sections de son architecture élaborée. Le lecteur, mobilisé d’emblée par des références historiques, littéraires, picturales, mythologiques… entre précautionneusement dans le dédale encyclopédique du poème au même titre qu’en amont, le poète tenta de négocier un itinéraire à l’intérieur d’une somme importante d’archives et de traces en tout genre.
En sentinelle avant-gardiste, Kling guette les grands événements de l’histoire allemande depuis le XVe siècle jusqu’à l’époque contemporaine. Mais conjointement, il scrute les matériaux, les dépoussiérant, les prélevant, les isolant pour les refigurer dans l’espace circonscrit du poème, qu’il s’agisse de poésie versifiée ou de vers libres en forme de blocs erratiques.
La première et superbe section de l’ouvrage est volontairement immersive : plongé dans la réalité visuelle, sonore et émotionnelle de « la première guerre mondiale », on est emporté par la langue et la cadence infernale de sa syntaxe. Quelque chose comme une débâcle climatologique et militaire. « on y va à Verdun ? dans le friendly fire ? / droit au ciel ? grelottant dans l’humidité. médecins dégueulasses / scie à la main, exténués. bandages dégueulasses. Transférés au front/  ».
La forme brève du tercet et du distique ramène le poème à l’expression de son faire et de sa nécessité : « écrire c’est patauger dans une tempête de neige je m’entends / haleter, la voix dans un déluge de flocons mon oreille meurtrie à l’écoute de ce qui / doit être transcrit. ». Ces courtes strophes semblent des extractions matérielles d’une réalité enfouie. Et parce que leur statut de strophe en tant qu’unité autonome est parfois contesté (tercet et distique s’insèrent généralement dans un sonnet), en choisissant précisément ces formes, Kling défend l’idée que la réalité n’existe qu’à l’état de fragment. Constat terrifiant ou stimulant ? Dans son adaptation du poème « L’infini » de Leopardi, il indique une réponse : « Depuis toujours la colline solitaire je l’ai / aimée et ce muret. qui soustrait au regard / la plupart de l’horizon éloigné  ». L’opacité de l’obstacle à l’œil est comme la fragilité du vestige que la main saisit : un viaduc pour la création.
Le poème comme sujet et objet ? Si la question est posée, c’est moins pour défendre l’idée qu’il serait à lui-même son propre achèvement que pour interroger la spécificité du poème à l’heure de la reproductibilité technique. Autrement dit, quels sont les enjeux de cette forme éclatée et complexe dans une ère mondialisée où les discours – démontés puis remontés – s’enchevêtrent ? Il semble que derrière le télescopage des époques, des références, des citations, au-delà d’un montage savant, d’un cadrage en constante évolution, une esthétique crépusculaire et néanmoins vigoureuse se dessine. Certes, les vestiges du passé sont effroyables (guerres, charniers, pillages, colonisation) mais les taire serait pire encore. « regarder c’est scruter la douleur  » nous rappelle Thomas Kling.
Ainsi que dans Manhattan espace buccal (Unes, 2014) où le poète se confrontait à la béance magnétique d’une mégalopole américaine, Échange longue distance tente d’approcher derrière les jeux de miroirs, les simulacres, les copies des copistes, ce qu’on pourrait nommer une expérience fondamentale, celle consistant à saisir la réalité par l’écriture tout en affirmant l’impossibilité même de formuler une quelconque vérité. « je suis désolé : un poème c’est ça : magie crânienne.  »

Christine Plantec

Échange longue distance, de Thomas Kling, traduit de l’allemand et postfacé par Aurélien Galateau, introduction de F. Heusbourg, Éditions Unes, 100 p., 20

Archéologie du poème Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°181 , mars 2017.
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