C’est à un périple au cœur d’une scénographie intime que l’auteure nous convie ici. Nombre de saynètes empruntées à la vie quotidienne ainsi que ses souvenirs d’enfance l’amènent à rassembler toutes sortes de voix. Gaëlle Josse en retient les plus parlantes afin d’évoquer ce monde qui nous entoure. Les unes nous paraissent plus ou moins proches, et présentes, d’autres entêtantes, au point de nous hanter, certaines nous hérissent, ou nous laissent de marbre. D’autres bouleversent. Du moins, notre univers mental, affectif et social, en est fortement imprégné, pour ne pas dire marqué. Nous voilà habités par des voix, à commencer par la voix maternelle, que nous percevons dès notre vie utérine. Ainsi, Gaëlle Josse s’interroge-t-elle d’emblée : « Que cherchons-nous dans la voix de l’Autre, sinon un ressouvenir de la voix première, une réminiscence de la voix unique, irremplaçable, celle qui nous a accueillis, mis au monde, projetés dans le monde ? (…) C’est dans cette voix-là que nous renaissons ».
Cette récognition qui fonde notre écoute et notre relation au monde, l’écrivaine la traque inlassablement. Loin d’en amoindrir l’écho, elle s’essaie à en capter les retentissements les plus infimes, à en recueillir même les plus enfouis, afin de les faire renaître. L’écouteuse ainsi qu’elle se qualifie elle-même, se trouve être également la parturiente d’une partition imaginaire jamais délaissée. La voix fait appel à notre sens de l’écoute. Comment percevoir la présence du monde, comment identifier ce que les voix humaines disent d’elles, sans y prêter avant tout l’oreille ? En une série de courts paragraphes, l’auteure parvient à merveille à déchiffrer à quel point la voix porte l’incarnation de nos rôles sociaux. La voix, comme le masque sur le visage, révèle et stylise autant qu’elle manipule et travestit. Mais il existe aussi ces « voix mystiques, voix sacrées », et, avoue Gaëlle Josse, il y a là de sa part une véritable fascination pour les espaces mentaux et vocaux que sont les « mantras, incantations, psalmodies. Voix magiques, voix rituelles, voix d’ombre. Envoûtante scansion des paroles obscures récitées au-dessus du feu… » Autre révélation de la voix, la force expressive du chant qui, selon elle, est une « incision dans le silence. La voix investit des sphères insoupçonnées, lointaines, minérales ». À propos de Maria Callas, elle écrit simplement : « Elle est la voix. » Et de Billie Holiday : « Au creux de son clair-obscur, sa voix parle d’elle, murmure combien elle aime, combien elle souffre. Sa lassitude est infinie. Depuis longtemps, elle a posé les armes. Comment ne pas aimer Billie ? » Et à son propre sujet, l’auteure confesse : « Longtemps je me suis sentie sans voix. Une voix étranglée, étouffée, une voix qui ne se décide pas à sortir. Avec le chant comme fascination, continent rêvé. Un jour, j’ai commencé à écrire. Poser ma voix. Enfin. » Inévitablement, la rencontre avec « la voix du poète », c’est ici celle des Illuminations de Rimbaud. Et, questionnant alors la littérature : « contes, fables, mythes, légendes, épopées, sagas, ont vécu de la voix, par la voix. Plus tard, écrites. Immobilisées. Préservées et appauvries. Sauvées et figées. L’écriture, tombeau de la voix ? »
Empruntant tour à tour à différents registres, ces fragments amoureux de la voix nous invitent à partager une part de la vie intime, sensible, affective, ou encore sociale de l’auteure, et de ses rencontres avec autrui, il ressort un fort désir de se comprendre. Cette approche sensible lui permet du moins la reconquête d’un espace à soi, à distance du monde social dont les contours s’avèrent bien souvent aliénants.
Emmanuelle Rodrigues
De vives voix, de Gaëlle Josse
Le Temps qu’il fait, 80 pages, 13 €
Poésie Une voix à soi
mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181
| par
Emmanuelle Rodrigues
Fascinée par la voix humaine, Gaëlle Josse nous entraîne dans ce qu’elle nomme sa « géographie sonore », où nous la suivons pour y écouter le monde.
Un livre
Une voix à soi
Par
Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°181
, mars 2017.