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Domaine français Le cri primal de Julia Kerninon

avril 2017 | Le Matricule des Anges n°182 | par Dominique Aussenac

Après seulement deux ouvrages parus, la jeune écrivaine éprouve le besoin de s’écrire. Vivifiant.

Une activité respectable

L’éthologie étudie le comportement animal. Quelles que soient les espèces, les bébés après la naissance ont besoin de s’enfouir dans de la paille, des chiffons, de la terre. Un besoin de protection, de chaleur, un prolongement du ventre maternel. Il est troublant de constater dès les premières pages d’Une activité respectable, cette même nécessité chez Julia Kerninon, de s’enfouir. S’enfouir dans les livres.
La mère et la fille (5 ans et demi) recouvertes de peaux de léopard (euh, synthétiques !) matent la vitrine d’une librairie anglaise de Paname, Shakespeare and Co. Librairie fréquentée dans l’entre-deux-guerres par les écrivains de la génération dite perdue, Hemingway, Fitzgerald, Ezra Pound, Gertrude Stein… Librairie qui à l’étage propose aussi des matelas aux lecteurs yankees de passage. « C’était évident qu’il faudrait pouvoir dormir entre les livres, qu’il n’y aurait pas de frontière entre la vie quotidienne et les pages, à la maison ma housse de couette représentait aussi des livres, de tout petits livres alignés sur des dizaines d’étagères, leur tranche ne dépassant pas un centimètre – alors bien sûr, bien sûr qu’on pouvait dormir là dans une librairie.  » Difficile donc d’échapper à un conditionnement, à des parents instits, globe-trotters, affamés de livres et à qui elle rend ici hommage : « la qualité légendaire étant sans doute ce que je préfère de ma famille qui refuse d’en être une ». Une machine à écrire électrique lui permet de confectionner des poèmes minimalistes, des lettres, des histoires d’animaux parlants, sous le contrôle d’une mère aussi complice qu’exigeante, aiguillonnant sa fille sans cesse. « La meilleure chose qui puisse t’arriver, c’est un incendie.  » Julia Kerninon agrandit le désir de sa mère. Écrire, écrire, écrire éperdument. Le père, en retrait, tout en rituels d’évitement, paraît terrorisé par le monde réel.
Adolescente, Julia récite de la poésie dans les cafés, y rencontre de vieux poètes junkies. « Je les accompagnais acheter de l’héroïne quand ils craquaient et ils me mettaient la main sur les yeux parce qu’ils ne voulaient pas que je voie ça.  » Elle accepte la bohème tout en s’imposant une discipline de fer. Abandonne un temps les études pour s’immerger dans Budapest. « Je pensais que pour être écrivain, je devais m’exercer comme un athlète, comme une danseuse, jusqu’à ne plus avoir mal, jusqu’à ne plus me poser de questions, et je cherchais à posséder cette compétence. » Elle y écrit deux livres. Part, voyage, effectue de petits boulots. Nounou, lectrice, plongeuse, coupeuse de cornichons, tombe amoureuse, se déchire : «  j’ai écrit un poème affirmant que les femmes comme les cafards, survivent à tout, et c’était vrai ou à peu près. » Un livre (Buvard, 2014) est publié. Il y en aura un autre. Puis celui-ci pour conjurer le sort, rappeler le vide qu’il a fallu combler, expliquer au monde qu’écrire peut être une raison de vivre. Pour y accéder, il faut renoncer à une vie normale, prétendre avoir comme compagnons des êtres de papier, des auteurs, des personnages de roman. La petite Lily de L’Hôtel New Hampshire de John Irving, Hemingway, Michel Butel, le père de l’Autre Journal dont elle cite cet extrait : « Les livres et les journaux me parlaient la nuit, le jour. J’entends encore aujourd’hui, parfois, par miracle, la vie des livres et des journaux de mon enfance. Dans ces instants, je pleure. » Les lier à ceux qu’on aime, les vivants et les morts. Et cela donne cet oxymore, petit grand livre d’une rare sincérité, d’une terrible lucidité, d’une volonté d’airain, tout en ironie, fragilité et pudeur. « Dans la famille, personne n’avait jamais gagné assez d’argent pour y croire, alors ils ne croyaient pas à l’argent, ils croyaient à l’expatriation, à la poésie, à la sobriété matérielle, ils croyaient que la littérature était une activité respectable. »
Dominique Aussenac

Une activité respectable, de Julia Kerninon
Le Rouergue, 64 pages, 9,80

Le cri primal de Julia Kerninon Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°182 , avril 2017.
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