La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français « Oui papa »

juin 2017 | Le Matricule des Anges n°184 | par Valérie Nigdélian

Jean-Claude Bilheran revient avec ironie sur les années 1970, en un temps où les jeunes gens payaient cher leur rêve d’un autre monde.

Il y a mille et une façons de faire la révolution, certaines flamboyantes, d’autres plus sourdes, plus modestes, plus discrètes mais non moins impérieuses  : alors que l’Internationale situationniste, réduite à sa part congrue, s’apprêtait à prononcer officiellement sa dissolution, un « obscur avorton contestataire » était interné en hôpital psychiatrique. Il n’avait pas 20 ans – ne les aurait même jamais – et alternerait en quelques mois phases de coma artificiel et traitement à l’électrochoc, supposés redresser son esprit déviant et l’emplir « de normalité, de vie sociale et de réalité ». Bref, destinés à « implanter des sens interdits dans (s)on cerveau ». Près de cinquante ans plus tard, Jean-Claude Bilheran, devenu instituteur puis professeur de collège, revisite par la bande cette période charnière de sa vie, retraçant tout à la fois l’histoire d’une chute – la déchéance docile et immobile de l’internement – et celle d’une « gloire » immense et dérisoire – celle d’avoir comparu devant le tribunal d’une société dans laquelle pour rien au monde il ne voulait entrer, lui qui était « de cette jeunesse que la France gaulliste – une société bourgeoise, laborieuse, orgueilleuse, autoritaire, bigote et puritaine – avait involontairement formée – une belle jeunesse qui allait faire un grand bruit ».
De ce refus catégorique, on ne saura rien (malgré de savoureux effets d’annonce), sinon l’abandon d’études promises à l’excellence, la guerre souterraine avec « papa » et « maman », et le phare Debord dans cette nuit qui s’annonçait. Sans compter les compagnons de route qui lui évitèrent le naufrage – « Dédé » Breton, Nerval, Reich, Ferré, Rimbaud, Baudelaire, Borel, Céline. Schizo, Bilheran ? Plutôt un fils obéissant (« Tu vois, papa, j’ai fait ce que tu voulais, je suis devenu fou »), laissant doucement la vie se retirer de lui-même tout comme « partout la vie se retirait de la société française à cette époque-là, comme le reflux d’une vaste mer déversant sur la grève les épaves d’un merveilleux charivari qui avait transfiguré le décor ». Si on sait l’échec de Mai, les revirements, les compromissions, on ne pourra que soupçonner, en parallèle, l’échec personnel – le rêve d’un monde meilleur, l’incapacité à s’adapter à la comédie sociale, fracassés dans les couloirs de l’institution psychiatrique, et peut-être même avant. Plus encore : dans ce regard jeté au jeune homme qu’il était et à la société dans laquelle il vivait – une société qui dévorait ses fils –, on cherchera en vain la virulence d’une charge directe. On trouvera certes un réquisitoire narquois et ironique à l’encontre des policiers de l’ordre moral, cette caste de « petit(s) psy » bricoleurs de l’esprit de leurs patients : mais si Bilheran dresse un réquisitoire, c’est plutôt envers lui-même. De saynètes en vignettes, avec beaucoup d’auto-dérision et une cruelle délectation, il dessine en effet l’autoportrait faussement naïf et pince-sans-rire d’un vaincu. On devine la révolte timide, en forme de retrait, qui jure d’autant plus avec la radicalité debordienne revendiquée ; on rit de l’orgueil et de l’individualité affirmée de « ce fier mustang bridé, un cheval sauvage dompté qui ployait sous le mors » du triangle aliénant du « moi-papa-maman ». On rit du « génie » affirmé et perdu dans les limbes des comas insuliniques, des authentiques « chefs-d’œuvre (au sens propre de l’expression) » écrits à cette époque – dont un inénarrable « poème à Monique ».
Bref, ça grince. Ça grince hier, et ça grince aujourd’hui, dans l’amertume de ce jeune homme d’une soixantaine d’années qui se définit, tout compte fait, comme « un citoyen veule et passif, un des si nombreux sujets de la société du spectacle ». Mais on refusera de jeter le bébé avec l’eau du bain : le rêve, même balayé, a eu, au moins, le mérite d’exister.

Valérie Nigdélian

La Paresse et la Gloire,
de Jean-Claude Bilheran
Le Temps qu’il fait, 128 pages, 17 e

« Oui papa » Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°184 , juin 2017.
LMDA PDF n°184
4,00 
LMDA papier n°184
6,50