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Égarés, oubliés Hautes couleurs

juin 2017 | Le Matricule des Anges n°184 | par Éric Dussert

L’Anglaise Estella Canzani (1887-1964) a rendu à la Savoie et au Piémont leurs magnifiques nuances. Le Journal de montagne de cette survivante de l’ère victorienne reste un modèle.

En janvier 1922, lorsque l’anthropologue Arnold van Gennep propose son adaptation du Journal de montagne d’Estella Canziani (Lib. Dardel, 1920), la revue La Géographie, bulletin de la Société de géographie s’enthousiasme. Tous trouvent inouï qu’une jeune femme de 24 ans se soit attachée à rendre avec autant de précision et de simplicité les faits et gestes d’une population montagnarde vivant presque retirée de la modernité. Tous admirent que la Savoie revive sous ses traits en ses us et coutumes, traditions, folklore, encore enrichis par la qualité exceptionnelle de ses aquarelles qui réveillent la magnificence des tenues de fêtes et de paysages saisissants. C’est un enthousiasme général qui durera longtemps puisqu’en 1928 le magazine Lectures pour tous proposait encore son récit en feuilleton. Même s’il est apparu depuis que van Gennep, emporté par sa fougue académique, s’était autorisé des modifications du texte très au-delà du raisonnable. Par chance, une édition de la maison Curandera (1993) a remis en état le texte d’Estella Canziani qu’on peut découvrir dans sa fraîcheur initiale.
L’éblouissement de la jeune Anglaise commence dès son arrivée dans les environs de Saint-Jean-de-Maurienne, lors de la fête de Saint-Colomban : « L’église était une véritable mer de couleurs chatoyantes, car chaque femme avait mis ses plus beaux habits, et il y avait là des fichus, des mouchoirs, des tabliers de toutes teintes : du rouge, du bleu, du vert, de l’orange, du pourpre. Beaucoup de mouchoirs étaient à longues franges ; de longs rubans brodés de fleurs et des tresses de perles pendaient dans le dos ; des étoiles en or et en strass, des agrafes avec des perles de couleur fermaient les ceintures. Les enfants et les bébés de tous âges étaient aussi habillés de couleurs vives. (…) Les costumes aux couleurs vives donnaient de loin aux femmes l’aspect de gros coléoptères courant au soleil. » Plus loin, ce sont les fours à pain qui la retiennent, là les transports en char ou les contes du pays, ici le rituel de la transhumance : « L’arrière-garde est formée par le paysan et sa famille, dont toute l’énergie est utilisée à pousser les cochons le long de la pente montueuse. Les hauts pâturages alpins sont la fortune de ce pays. (…) Les troupeaux sont toujours accompagnés de chiens, qui ont un air féroce, aux colliers garnis de clous acérés, crainte des quelques loups qui subsistent encore de ci, de là, en Savoie. Derrière le troupeau vient un petit cortège de mulets, portant une tente de toile grossière, un petit tonneau d’huile d’olive, des marmites, un jambon et des saucisses. (…) Ces rudes bergers, presque toujours en route, sont pittoresques au possible, avec leurs visages cuits par le soleil, leurs grands chapeaux roussis et leurs vêtements sommaires. On les redoute un peu dans le pays. (…) Ils connaissent les vertus médicinales des plantes, et ceci les fait passer pour quelque peu sorciers auprès des paysans du lieu. »
Déjà l’édition originale anglaise du Journal de montagne (Costumes, Traditions and Songs of Savoy, 1911) avait connu un immense succès en Angleterre. À l’époque le folkloriste Paul Sébillot avait relevé pour la Revue des traditions populaires de juillet 1912 la précision de ses descriptions et leur intérêt scientifique. En scientifique qui se respecte, il n’avait pas insisté sur la fraîcheur de son approche, ni la gentillesse de son regard.
Née le 12 janvier 1887, Estella Canziani est une personnalité rare. Fille de la portraitiste Louisa Starr et de l’ingénieur en électricité italien Enrico Canziani, c’est avec ce dernier qu’elle arpenta les Alpes, le Tyrol et le Piémont, peignant d’admirables œuvres reproduisant les personnages et les paysages qu’elle découvrait, tandis que son père courait les fermes et les champs pour apprendre les contes traditionnels sur les diables des glaciers et autres revenants des montagnes, et dénicher autant d’objets de l’artisanat local que possible.
Installée à Londres avec sa famille au 3Palace Green dans le quartier de Kensington Palace qui vit naître Peter Pan et Le Vent dans les saules, entre autres, elle avait suivi les enseignements de Sir Arthur Cope et d’Erskine Nicol – et probablement ceux de sa mère – et connut en 1915 une notoriété inattendue lorsque les soldats anglais épinglèrent la reproduction de son « Piper of Dreams » dans leur cahute des tranchées en 1915. On dit que deux cent cinquante mille reproductions en furent écoulées… Illustratrice de livres, auteurs de nouveaux journaux de voyage au Piémont (1913), dans les Apennins et les Abruzzes (1928), Estella Canziani est restée dans les esprits comme une survivante de l’ère victorienne qui ne souhaitait pas s’extirper de son âge d’or.
À l’occasion de son décès, le 23 août 1964, Lord Ilford écrivit dans la nécrologie qu’il rédigea pour le Times qu’elle restait une « highly eccentric personality  ». Membre de diverses sociétés de géographie et de défense des oiseaux, elle n’avait jamais souhaité quitter la demeure familiale dont elle avait fait un nid sorti du temps. Ses mémoires publiés en 1939, mais restés inédits en France, portaient du reste le nom de sa maison : Round About Three Palace Green. Sa nostalgie primait sans doute, et depuis longtemps. En 1911, c’est-à-dire cinq ans après son premier passage en Savoie, Estella Canziani avait remarqué et déploré que les vêtements de confection avaient presque fait disparaître les vêtements de fête traditionnels taillés et brodés à la main. On imagine sans peine qu’elle n’aurait pas aimé la fin du XXe, qui fut pourtant aussi son siècle. Le manque de couleurs sans doute.

Éric Dussert

Hautes couleurs Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°184 , juin 2017.
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