Jakuta Alikavazovic, l'amour en temps de guerre
Enfant de l’immigration, Paul suit des études d’architecture qu’il finance en se faisant le veilleur de nuit d’un des hôtels de la chaîne Elisse. Dans ce même hôtel où vit Amélia qui fait les mêmes études que lui, n’a pas hérité d’une même vie que lui : le père d’Amélia est le propriétaire de la chaîne hôtelière. Tous les deux sont les étudiants préférés d’Anton (pour Antonia) dont les cours n’abordent jamais le sujet qui est le sien : la peur, la ville.
Paul fuit Amélia d’abord, son rang social l’intimide. La jeune fille dort rarement seule. Sa rousseur est un incendie, qui irradie les écrans de contrôle où le jeune homme espionne d’autres vies que la sienne. C’est elle qui viendra le chercher, c’est elle qui le conduira dans la chambre qu’elle occupe et l’amour alors sera un incendie plus durable pour Paul que pour elle. Une nuit, Amélia laisse sa rousseur dans la poubelle de la salle de bains, se sauve incognito de l’hôtel, disparaît à jamais, pense-t-on. Paul ira de corps en corps dans une vaine tentative d’oublier qu’il a déjà perdu son cœur. Amélia, en réalité, est partie à la recherche du fantôme de sa mère Nadia Dehr, ancienne amie (et amante ?) d’Anton, poétesse et artiste. Nadia Dehr s’est fait connaître pour avoir créé « la poésie documentaire » dont elle a voulu faire une arme pour arrêter la guerre en ex-Yougoslavie. Mais Nadia a été absorbée par la guerre. Amélia part à la recherche des traces d’une mère qui l’avait abandonnée, abandonnant à son tour le seul homme qui l’aime vraiment. C’est une histoire d’amour singulière que nous raconte Jakuta Alikavazovic. Singulière et universelle : il y est question de la jeunesse et de ce qui vient après, des blessures et des illusions, de la beauté du sexe et du monde qui brûle. La romancière, autour de cet amour, tisse tout un réseau de thématiques qui se fondent à l’histoire racontée. Au-delà des individus, le roman projette ses ombres chinoises sur un fond d’inquiétude : la catastrophe écologique, les attentats terroristes sont reliés au siège de Sarajevo, au capitalisme triomphant et le tout est éclairé par l’art, omniprésent dans le livre. La phrase de la romancière envahit toute la toile, pénètre l’intime, révèle l’universel, s’étend sur tous les champs qui s’offrent à elle et nous dépose au cœur de la nuit. Orphelins de mère tous les deux, Paul et Amélia donneront naissance à une Louise qui entre dans l’avenir comme si celui-ci pouvait encore porter en lui les promesses de l’aube. Les héritiers de la catastrophe peuvent-ils racheter leur époque pour donner à la génération nouvelle la possibilité d’habiter le monde ? Peut-être si leur cœur « bat contre l’époque ».
L’Avancée de la nuit
Éditions de l’Olivier, 278 pages, 19