Qui se souvient du premier roman de Jean-Marie-Gustave Le Clézio ? Le Procès-verbal : un livre noir et amer dans lequel le héros, Adam Pollo, enfermé dans une maison de vacances, près de la mer se débattait entre folie et crise existentielle. Un funambule, le troisième ouvrage d’Alexandre Seurat y fait songer à bien des égards. Mêmes lieux, même déshérence, même décalage, même dépersonnalisation, même trouble. Le héros trentenaire n’a jamais trouvé sa place, ni dans sa famille, ni dans la société. S’il a vécu une histoire d’amour poignante avec Solenne, celle-ci vient de le quitter. Il se laisse alors envahir par la douleur, l’angoisse, joue avec elles comme avec un revolver. (« Et il s’était dit, Oui hors saison, car il n’aimait pas les foules de l’été. Pourtant quelque chose avait continué à forer en lui une sorte de malaise – puis il avait compris, d’un coup : sa place était hors saison. ») Il entretient des velléités d’écriture, du moins ses proches les lui prêtent, mais n’écrit plus. Il est aimé mais pas comme il le souhaiterait. Il étouffe dans une famille qui le marginalise. Les premières pages du roman le montrent se laissant engloutir par la mer. De la mer à la mère retentit l’ombre d’un cri, celui des origines. Retrouver le liquide iodé sûrement maternel, paradoxal pour un héros en mal de mère… « Quand sa mère dormait, parfois il s’approchait d’elle, et s’étonnait que son visage fût fermé dans une expression dure, il avait peur du sommeil de sa mère. » Mais décidément, il rate tout ce qu’il tente et n’arrive même pas à en finir. Il est secouru. Pire. Un billet de train, l’invite à venir fêter la fête des… Mères au milieu des siens. Maladresses, déboires, ivresse, esclandres, c’est son père, là, qui pour le coup l’emmène à l’hôpital psy où il sera interné.
Décrit à la troisième personne par le narrateur, le jeune homme semble toutefois parler à la première. Est-ce un trop-plein d’empathie vécu par le lecteur, un malaise partagé, une osmose ? La fin du roman conte la fuite hallucinée de l’asile, la quête de Germaine, la nounou, mère de substitution. À l’instar du héros, le lecteur erre, titube, se fait funambule, marche au-dessus du vide jusqu’à épuisement. Un étrange rituel s’opère. Très onirique. À la lumière de bougies, des femmes trempent des morceaux de coton dans de l’huile et se les font passer. L’angoisse se mêle au sacré, s’éteint, se rallume. Y a-t-il un espoir, un ultime espoir de sauver son âme ?
Alexandre Seurat aime à se positionner au plus près de la blessure, de l’émoi, de la trahison, de l’infâme. Il surligne les béances, les doutes, les fêlures. Générant une émotion brute, charnelle. Son premier roman, La Maladroite, exhumait la chronique d’une mort annoncée, celle d’une petite fille violentée par ses parents. L’Administrateur provisoire focalisait sur un personnage oublié à l’intérieur d’une saga familiale, un salaud qui dépossédait légalement les juifs de leurs biens, sur fond de suicide d’un de ses jeunes descendants. Avec Un funambule, il dénude encore plus écriture et sensibilité, ce qui lui permet en quelques mots d’alterner l’ombre et la lumière. « Sa joie est quelque part, il sait qu’elle est là. S’il marchait vers elle, il suffirait de quelques pas dans le noir pour l’atteindre, mais il faudrait d’abord savoir dans quelle direction aller. » Si le corps du récit paraît dense, à la manière d’une roche stratifiée, zébrée de ressassements, souvenirs, phrases en italique, propos rapportés, extraits de lettres, il se rapproche du haïku par ces phrases courtes, aphorismes qui le découpent, le ponctuent. « Il y a beaucoup de vide, depuis qu’il n’y a plus de murs. »
Dominique Aussenac
Un funambule, d’Alexandre Seurat
Le Rouergue, 92 pages, 12 €
Domaine français Chaise de jardin
janvier 2018 | Le Matricule des Anges n°189
| par
Dominique Aussenac
Avec un art consommé du dépouillement, Alexandre Seurat dépeint les affres d’un jeune adulte en crise. Intense et rémanent.
Un livre
Chaise de jardin
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°189
, janvier 2018.