Roger Caillois imaginait dans Ponce Pilate que ce gouverneur romain graciait le Christ : en conséquence, il n’y eut pas de christianisme. David Toscana livre une uchronie plus facétieuse.
Le récit est d’un roman historique et légendaire bon enfant, dans lequel les rois mages suivent une étoile capricieuse. Devant l’enfant Jésus, une surprise désastreuse les attend. Car Emmanuelle, le rejeton de Marie, « n’aura jamais de barbe », s’irrite le Seigneur. L’ange Gabriel aurait failli dans sa mission ? L’on devine que pour la prophétesse, ce n’est pas une sinécure que d’imposer le message divin, de recruter des apôtres, d’asseoir son autorité de fille de Dieu, de Déesse enfin. D’autant qu’il vient un frère cadet, Jacob, redoutable concurrent connu bientôt sous le nom de Jésus. Les péripéties, burlesques et graves, se succèdent, jusqu’à ce que Pierre soit « l’apôtre d’Emmanuelle ».
Sens de l’humour, rebondissements, discrète érudition, voici les qualités de cette réécriture. Sans oublier l’ironie égratignant foi et tyrannie religieuse : « Quiconque dira qu’assécher le figuier a été une infamie sera tenu pour hérétique », assène notre « meneuse d’une bande de guérilleros », notre « Christe » !
Outre la dimension uchronique – imaginer un temps historique et mythique qui n’a jamais existé – le Mexicain David Toscana offre un apologue universel et cependant ancré dans notre temps : il se moque d’une récurrente misogynie et milite pour l’égalité homme-femme, y compris au sein de religions plus ou moins enclines à reconnaître la féminité dans sa dignité. Gageons d’ailleurs que si quelques chrétiens s’irriteront de lire ce roman, ils n’iront guère jusqu’à le qualifier de blasphème. Si le Christ avait été une femme, la face du monde en aurait-elle été changée ?
Thierry Guinhut
Evangelia de David Toscana
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Inés Introcaso, Zulma, 432 pages, 22,50 €
Domaine étranger Evangelia de David Toscana
février 2018 | Le Matricule des Anges n°190
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Evangelia de David Toscana
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°190
, février 2018.