Dominique Sigaud, la langue résiste
Et si l’écriture était une forme d’érosion ? Si chaque livre d’une œuvre était un morceau de falaise qui se détachait d’un continent, happé par une mer sculpteuse qui ne laisserait, au final, qu’une île singulière et mouvante, libérée enfin de ce qui la tenait attachée au continent. Une histoire de libération en somme. On se dit ça quand on a lu les livres de Dominique Sigaud et que paraît Dans nos langues. On retrouve dans ce nouvel opus la trace de tous les livres précédents, depuis L’Hypothèse du désert jusqu’à Partir, Calcutta. On y retrouve aussi un perpétuel questionnement, des scènes, des épisodes intimes extraits du matériau autobiographique pour alimenter une réflexion sur la condition humaine. Dans l’œuvre de la romancière, l’autobiographie s’était d’abord invitée comme par effraction avec un livre de commande, La Part belle dont l’écho allait peu à peu modifier la trajectoire de l’écriture pour qu’elle accueille le « je » qu’elle semblait vouloir fuir, puis autour duquel elle s’était mise à tourner comme un satellite.
Plus qu’aucun de ses autres livres peut-être, Dans nos langues situe le lieu même d’où l’écriture surgit : de ce rapport au monde fait de tensions, de conflits et de désirs. D’un besoin d’affranchissement et de la nécessité de témoigner des vies retenues derrière des barreaux, des fils barbelés, enfouies dans les génocides de l’histoire contemporaine.
La tension, le combat, Dominique Sigaud l’incarne parfois avec tant d’énergie que les tables où elle se retrouve invitée à parler lors de festivals littéraires se transforment parfois en rings. Ne rien lâcher, saisir les mensonges du monde pour les retourner contre la domination, inventorier les crimes, rendre compte.
Est-ce l’épreuve du cancer qu’elle évoque dans Tendres rumeurs et Dans nos langues, est-ce d’avoir trouvé dans la langue un lieu où enfin habiter, toujours est-il que la femme qui nous reçoit déploie une forme de sérénité lucide. Elle n’a pas jeté les gants, au contraire : elle sait comment, par les mots, frapper fort et juste.
Née à l’aube des années 60 à Paris, Dominique Sigaud se dirait facilement apatride : « il paraît qu’il faut trois mois à un nouveau-né pour négocier son espace-temps. Quinze jours après ma naissance, nous déménagions pour Carry-le-Rouet près de Marseille. » Elle ne nous le dit pas, mais on imagine une enfance entourée de cartons : le déménagement comme façon de vivre. Son père est ingénieur d’essais en vol chez Dassault Aviation et multiplie les allers-retours entre la région parisienne et la Provence, entre la base aérienne de Villacoublay et celle d’Istres. Sa mère, qui s’occupe du foyer est issue d’une bourgeoisie très ancienne qui remonte au moins au XVe siècle. « Une famille de notables tous, sans exception, extrêmement conformistes. » Du côté paternel, le grand-père est amiral de marine à Toulon, mais vient d’une famille de paysans de Cuers dans le Var. « C’était très marqué par un conformisme social...