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Domaine français Les grandes échappées

mai 2018 | Le Matricule des Anges n°193 | par Anthony Dufraisse

Gilles Ortlieb part sur les traces d’un « fantôme ambulant », l’évanescent poète Ângelo de Lima.

La mémoire tient parfois à un fil. Sans Orpheu, la revue bien connue de Pessoa dans laquelle il avait publié quelques textes en 1915, Ângelo de Lima (1872-1921) n’aurait-il pas été totalement oublié ? En tout cas, Gilles Ortlieb tire ce fil fragile, ou plutôt le suit-il, qui le mène du Portugal au Mozambique, sur les traces de ce poète également dessinateur de talent, mort à la veille de ses 50 ans. Ce qu’il a laissé de tangible ? Si peu : des lettres à sa famille, quelques croquis et de brefs poèmes, « une quarantaine tout au plus, éparpillés de son vivant dans quantité de revues évaporées entre-temps ». Parti à la recherche d’un « fantôme ambulant », Ortlieb semble vouloir répondre, près d’un siècle après sa mort, à ce « frère inconnu » qui pressentait apparemment son absolue disparition : « Se peut-il que celui qui maintenant chante… vit… existe / On ne s’en souvienne plus jamais – éternellement ? ». Déclaré « aliéné », « dégénéré », « déviant » suivant les critères psychiatriques plus que discutables d’une autre époque, Ângelo de Lima aura été l’étonnant pensionnaire du non moins étonnant hôpital panoptique de Lisbonne. Là, Ortlieb fraternise avec l’ombre de l’interné qui circulait presque à sa guise entre les murs de cette institution. Chemin faisant en compagnie d’un spectre qui arpente les rues de Porto ou de Lisbonne (suivant ces lieux de placements en observation et internements plus ou moins prolongés), Ortlieb pousse même son enquête jusqu’à s’envoler pour le Mozambique où de Lima a passé quelque temps, bidasse désœuvré et écrasé de chaleur : « Le voyage d’Ângelo en Afrique aura d’abord été celui d’un dessinateur et d’un aquarelliste, accessoirement d’un vaguemestre sous l’uniforme colonial et, pendant une bonne partie de son séjour au moins, d’un buveur invétéré, même s’il prétendait auprès des siens qu’il valait mieux, sous ces latitudes, mener une vie bien réglée pour mieux résister au climat ».
Où qu’il se trouve, l’enquêteur Ortlieb a dans sa façon de faire quelque chose de ces retoucheurs qu’on aperçoit dans les vitrines des bouclards de Lisboa : « Reprises, ravaudages, rempiècements, raccommodages : la boutique de retoucherie, métaphore acceptable ou définition possible de la poésie ». C’est tout aussi vrai pour ce livre, patchwork qui vaut stèle, modeste tombeau dressé en mémoire d’un homme étrange que sa prétendue folie a confiné aux oubliettes.
« On ne doit commencer à connaître une ville qu’à partir du moment où l’on parvient à établir un lien, aussi ténu soit-il, entre des quartiers que l’on imaginait jusque-là comme sans rapport entre eux, ou lorsque certains toponymes (…) deviennent à l’usage aussi familiers que des noms communs ». Cette très juste observation de Gilles Ortlieb, sans doute son cadet de vingt-cinq ans Goulven Le Brech doit-il la partager, lui qui a emprunté des voies semblables sur le pavé lisboète, les pages de Fernando Pessoa en tête. Peut-être même se sont-ils croisés, sans se connaître, dans les désuets troquets de l’Alfama ou du Bairro Alto, allez savoir. Ce qui est sûr, c’est qu’ils partagent tous deux un goût commun pour ce que l’on pourrait appeler, suivant Le Brech, le « récit d’échappées ». D’Amsterdam à San Francisco et Big Sur, de la côte bretonne à celle du Dorset en passant par Oran notamment, cet archiviste de profession restitue les linéaments de sa « mémoire sensorielle » au cours de déambulations aussi poétiques que géographiques. Car ce sont avant tout escapades d’ordre littéraire que les siennes où passent, évoquées ou convoquées, les silhouettes de Pessoa mais aussi de Camus et Jean Grenier, de Llewelyn Powys et Kenneth Rexroth ou encore de Kerouac, Nescio, Robinson Jeffers et Jules Lequier, les uns qu’on ne présente plus, les autres, méconnus, qu’on découvre souvent. De bien jolies partitions pédestres et contemplatives.

Anthony Dufraisse

Ângelo, de Gilles Ortlieb
Finitude, 143 pages, 15
Échappées océanes, de Goulven Le Brech
Éditions du Petit Pavé, 183 pages, 18

Les grandes échappées Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°193 , mai 2018.
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