Je ne pourrais prétendre qu’à un seul titre : celui de Piéton de Turin », affirme Guido Ceronetti en se souvenant (forcément) de Léon-Paul Fargue. Il pratique la flânerie (en français dans le texte, forcément) « pour le plaisir de marcher », mais aussi celui « de piller des maisons, des fenêtres, des dépôts invisibles de sensations ». Il est un peu un collecteur de ruines, aimant en tout cas ce qui d’une manière ou d’une autre porte les traces du passage du temps, une certaine nostalgie, parfois légèrement amère, le plus souvent humoristique, car « l’ultime ramification de la sensibilité est le rire mental ». « On ne fera jamais assez l’éloge de ces sadiques qui amputent les statues, en ravivant leur vérité cachée grâce au manque, à l’appauvrissement », assure-t-il, en amateur de ce qui est « usé et battu par la vie ». Turin, pourtant, sa ville, centre unique d’un recueil de textes qui font de la digression leur armature, est décrite dès le titre comme un « enfer ». L’enfer des villes ripolinées, avec leurs « galeries bien brossées », « surveillées par des caméras, en des lieux où la sacralité la plus proche est un strident parking souterrain ». L’Italien, qui ne croit à d’autre enracinement que celui métaphysique, ajoute encore que « ne pas avoir compris que l’humanité d’aujourd’hui a plus besoin de miracle que de pain est le propre d’un regard qui ne saisit pas les choses, d’une oreille sourde au gémissement étrange du monde ». Il porte un regard distancié, érudit, joueur, sur l’urbanisme et le passage du temps (et l’un et l’autre sont profondément liés), raconte de vieilles anecdotes – boxeurs, cinémas de son enfance pleins de moulures –, se souvient d’un vieux Turinois qui n’est autre que son père, brosse le portrait acide de la « vraie turinoise », en voie de disparition, forcément, fait du Saint-Suaire un monument au « chrétien inconnu » et poursuit sa route en compagnie du maire ou de gitans, conviant le lecteur à participer lui aussi de cette flânerie, parfois incertaine, souvent réjouissante.
Guillaume Contré
Petit enfer de Turin
Guido Ceronetti
Traduit de l’italien par Angela Guidi et Vera Milan-Primevère
Fario, 150 p., 16 €
Domaine étranger Petit enfer de Turin, de Guido Ceronetti
juin 2018 | Le Matricule des Anges n°194
| par
Guillaume Contré
Un livre
Petit enfer de Turin, de Guido Ceronetti
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°194
, juin 2018.