Le Tonneau magique de Bernard Malamud (1914-1986), que cette publication rend accessible dans une nouvelle traduction signée Josée Kamoun, comprend treize nouvelles pour lesquelles l’écrivain américain a obtenu son premier National Book Award en 1959. Car il en décrochera un second pour L’Homme de Kiev, en 1967, cette même année où on lui attribuera aussi un Pulitzer. L’éditrice Nathalie Zberro s’est donné pour tâche de publier Malamud en intégralité et nous avons là, avec cette nouvelle pièce du puzzle (après L’Homme de Kiev, Le Meilleur et Le Commis, réédités ces trois dernières années), une possible introduction à l’œuvre de celui que Philip Roth, disparu en mai, admirait tout particulièrement. De fait, par la matière même de ces histoires drôlement dramatiques (ou dramatiquement drôles), ce recueil offre un bon aperçu de l’univers malamudien.
L’ensemble se présente comme des variations autour du thème de la quête ou de l’attente, mettant en scène des personnages essentiellement masculins et juifs qui sont, d’une façon ou d’une autre, des êtres empêchés. Parce que pauvres, dupés ou perdus. Qu’un accablement pèse sur leurs épaules, c’est ce que l’on peut voir dans ces nouvelles où se croisent petites gens (tailleur, boulanger, cordonnier, marieur, épicier…) et, disons, intellos (Finkle, l’apprenti rabbin en quête d’une épouse dans le récit qui donne son titre au livre ; Schneider, le doctorant en études italiennes ; le critique d’art Fidelman).
Le fond commun de ces textes est à repérer dans une atmosphère tragi-comique. Une ambiance comme dans les films d’un Woody Allen, par exemple ? Non, c’est plutôt comparable aux écrits de Beckett, selon la très juste comparaison de Roth. Car l’essentiel est bien dans l’enlisement progressif des personnages, l’espèce de cercle vicieux dans lequel ils sont pris. Bref : une fatalité à laquelle ils font face tant bien que mal, en montrant une indéniable vaillance morale voire une bienveillance, même dans la pire des situations. Autant dire que Malamud est un écrivain de l’engrenage et c’est ce qui fait l’intérêt particulier de ce volume ; c’est aussi sans doute ce qui fait que son humour n’est pas immédiatement accessible. L’homme administre son encre sympathique à petites doses. « La dame du lac » et « Le dernier Mohican », les deux nouvelles les plus remarquables de ce recueil nous semble-t-il, illustrent à merveille cette mécanique de précision. Ce qu’elles racontent, c’est un genre de folie-douce : dans l’une, le dénommé Levin alias Freeman se voit embarqué dans une aventure amoureuse improbable où il est question de judéité cachée, et dans l’autre, Fidelman, en voyage en Italie, est obnubilé par la présence d’un « parasite », un homme baptisé Susskind qui lui pourrit et sa vie et son travail…
Écroulement des espoirs, attente d’un revirement du destin, acceptation des mauvais tours de l’existence, les personnages de Malamud sont, comme dans les paraboles bibliques, mis à l’épreuve, cherchant malgré tout « une ombre de but à (leur) vie », pour citer le protagoniste du Tonneau magique.
Anthony Dufraisse
Le Tonneau magique, de Bernard
Malamud, traduit de l’américain par Josée Kamoun, Rivages, 265 pages, 21 €
Domaine étranger Nouvelles paraboles
juin 2018 | Le Matricule des Anges n°194
| par
Anthony Dufraisse
À travers ses personnages modestes et bienveillants, Bernard Malamud sait comme nul autre mettre le malheur à distance.
Un livre
Nouvelles paraboles
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°194
, juin 2018.