Parce qu’il est de ces poètes qui ne se laissent pas enfermer dans les limites étriquées d’une personnalité unique, Marc Alyn a souvent été snobé par la critique. La publication de ses Mémoires, Le Temps est un faucon qui plonge, et celle de la version définitive de sa trilogie « orphique », Les Alphabets du feu, sont l’occasion de (re)découvrir un poète qui tient l’écriture pour la voie royale vers l’arc-en-ciel, autrement dit qui croit au poème, double magique de l’univers.
Né en 1937 à Reims – la ville de Roger Caillois et des poètes du Grand jeu, ces anges visionnaires qui crurent à la voie initiatique pour accéder à une réalité supérieure (la pente naturelle vers l’ésotérisme qu’on peut observer chez Marc Alyn vient peut-être de là) –, Marc Alyn est entré en poésie par un coup d’éclat. Il reçoit, à 20 ans, le prix Max-Jacob. Deux ans plus tôt, il signait avec Pierre Garnier et Jean Bouhier, une Défense de la poésie s’en prenant vigoureusement à la poésie nationale prônée par Aragon, et qualifiant d’« escroquerie littéraire » la sous-esthétique de l’engagement. Des distinctions, il en recevra d’autres – la dernière est le prix Goncourt de la poésie, en 2007, pour l’ensemble de son œuvre – au fil d’une existence marquée par la guerre d’Algérie, les voyages en Slovénie, en Bosnie, en Orient, à Venise, le choix du retrait à Uzès de 1964 à 1986, un cancer du larynx qui le priva de voix pendant sept ans sans oublier l’activité critique, la création de la collection « Poésie / Flammarion », des essais sur Nerval, Dylan Thomas, Lawrence Durrel, André de Richaud… et une œuvre poétique dont l’intégralité est publiée au Castor Astral : La Combustion de l’ange et Proses de l’intérieur du poème.
Conçue, élaborée, écrite en marge des périples accomplis en Orient entre 1972 et 1991, la trilogie des Alphabets du feu (Byblos ; La Parole planète ; Le Scribe errant) est une plongée aux sources de l’écriture, de ce Levant, lieu de la genèse de tous les alphabets, carrefour des religions et des hérésies. Au cœur de ces territoires à jamais imprégnés de la rosée du Commencement, il y a Byblos, ce port phénicien que la haute Antiquité considérait comme la plus ancienne ville du monde. C’est cette cité, aujourd’hui champ de ruines, qui fut sous la protection de Baalat, la Dame de Byblos et d’Adonis, qui donne son titre au premier volet de la trilogie.
Byblos, « syllabes oubliées où bat le pouls de cantiques sauvages », ville qui enfanta le livre et lui donna son nom, « lieu hanté par le temps / jardin suspendu fou de thym et de figues / palmes au gré du vent tramant des réseaux d’ombre / sur les ombres des monuments »… Entre éblouissement, fascination et immersion initiatique, Marc Alyn nous plonge six mille ans en arrière, ressuscite cette cité qui « n’en finit pas d’étinceler / de ses lourds bijoux de ses armes sculptées / qu’emportent sur l’écume / avec le papyrus et les toges de pourpre / les prestes barques phéniciennes ». Comme en état de résonance avec un lieu où la présence obsédante de l’alphabet sourd de chaque pierre, il réincarne ses habitants, sa souveraine, ses religions disparues, « tout un panthéon de dieux importés de Memphis / de Babylone ou de Sumer ». Évocations, invocations, présences. « Un peu partout dans l’air des regards invisibles / nous traversent et peut-être nous voient. »
À Byblos, qui voit le Verbe se lever, succède La Parole planète. Le Verbe créateur occupe maintenant le devant de la scène. « Le verbe originel à jamais se répand / (…) source qui lie le prologue à la fin / l’éclair inaugural à l’ultissime braise ». C’est la parole inventant sa propre voix au fil d’une sorte de fécondation mystique de la matière. « Que le caillou s’envole et devienne une caille ! / Que le mot somnambule irradie l’œil des fables ! » Le poète est ce voyeur-voyageur qui « désapprend lentement d’être / pour se mêler aux éléments » et réengendrer une nature différente et toujours neuve.
Le Scribe errant, le dernier volet du triptyque, montre le Scribe, « affranchi du poids de la nuit qui le voûtait sur l’écriture », parcourant ces espaces intérieurs qui sont les seuls véritables espaces de l’écriture. Sur les chemins il va, marchant dans le feu « vers l’œil ardoisé de la neige », illuminé « d’augures et de lucioles talismaniques ». D’odyssées en genèses – « La parole est pollen en voyage / laitance éparpillée sur l’océan de l’être » – en passant par les liturgies de l’abîme, le Scribe finit par atteindre « la chambre secrète » de l’origine retrouvée.
Richard Blin
Marc Alyn, Les Alphabets du feu,
Le Castor astral, 272 pages, 18 €
et Le Temps est un faucon qui plonge, Pierre-Guillaume de Roux, 216 pages, 23 €
Poésie Effusions d’intense
juin 2018 | Le Matricule des Anges n°194
| par
Richard Blin
Qui connaît Marc Alyn ? La publication de ses Mémoires et surtout de son chef-d’œuvre, Les Alphabets du feu, sont l’occasion de découvrir une voix bien trop méconnue.
Des livres
Effusions d’intense
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°194
, juin 2018.