Gwendoline Soublin est une jeune auteure de 31 ans. Petite fille d’agriculteurs bretons, elle est très touchée quand elle découvre qu’en France un agriculteur se suicide tous les deux jours. De sa colère naît un texte fort, Pig Boy 1986-2358, lauréat des Journées de Lyon des auteurs de Théâtre en 2017. La pièce est composée en trois parties très contrastées mais qui résonnent entre elles, comme si elles gardaient en mémoire la tragédie du départ. L’histoire commence le 2 septembre 1986 par la naissance de Théodore Bouquet.
« Après toi, il n’y a que des fausses couches. Un médecin apprendra à ta mère qu’elle a respiré trop de pesticides. Ses ovaires sont pourris. Alors très vite, tu dois te positionner.
1- VOUS REPRENDREZ L’EXPLOITATION FAMILIALE À VOTRE MAJORITÉ
2- VOUS ABANDONNEREZ VOTRE TERRE À UN ÉTRANGER »
Le fils choisit de reprendre la ferme, mais il rêve de devenir un cow-boy et d’élever des vaches. Lorsque son père se suicide, il a 29 ans. « C’est toi qui le décroches du plafond de la cave. Un mot est là qui dit : “Je n’en peux plus, pardon.” C’est la crise du porc en 2014. Le cours tombe à 1,08 € le kilo. Dans l’histoire dont tu es le héros tu hérites d’une exploitation porcine endettée. » Il doit mettre ses rêves de côté. Mais n’arrivera pas à redresser la barre. Il peut juste mettre en scène son suicide, comme dans un vrai western, lorsque les huissiers viennent saisir son exploitation.
Cette première partie est courte, plutôt très bien documentée. Sa forme raconte une oppression. Ainsi, chaque étape de la vie de Théodore est encadrée de questionnaires, écrits en majuscules. Ils créent la sensation d’une dépossession, comme si un rouleau compresseur écrasait tout ce qui n’était pas jugé rentable ou conforme.
La deuxième partie est plus longue et touffue. Nous suivons en direct le procès d’un cochon, Pig Boy. Un procès sulfureux. Pig Boy, après avoir été le porcelet star de la marque Perta, premier éleveur et fournisseur mondial de viande de porc, est arrêté, car il a eu une relation sexuelle avec une femme, Miss Katsue Matumato. Cette fois, Gwendoline Soublin joue avec la mise en page et la typographie, utilisant des polices de caractères différentes. Chaque page explose sous les informations. Ainsi, les commentaires des internautes qui suivent le procès envahissent l’espace. Les points de vue s’affrontent. De : « Voulons nous d’un monde où les cochons sont si égaux aux hommes qu’ils mangent dans nos assiettes et se marient à nos femmes ? » à « STOP ! STOP À CE PROCÈS INFÂME ! PIG BOY EST NOTRE FRÈRE ! IL MÉRITE UN SALAIRE, UNE FEMME ET SA LIBERTÉ ! »
Au final, le cochon est condamné à mort : il sera revêtu comme un humain puis pendu et brûlé. Cette deuxième partie est bourrée d’humour noir. Comme cette recommandation : « A titre préventif et en guise d’exemple, la totalité des porcs cliniques, industriels et domestiques seront dans l’obligation de regarder la vidéo de l’exécution dans les 90 prochains jours ouvrables ».
À l’inverse, la troisième partie est épurée, avec des temps de suspens et une belle invention de langue. Nous sommes dans le futur, en 2358, dans la tête d’une truie de laboratoire, utilisée pour porter des petits d’humains. Ces bébés servent de matière première pour remplacer les cœurs ou les poumons défectueux des hommes. Mais la truie se rebelle, elle se sauve du laboratoire pour mettre bas dans la forêt et fonder une nouvelle humanité. Entre l’homme et l’animal.
Tout au long de la pièce, le sang des bêtes coule autant que celui des hommes. La maltraitance faite aux bêtes résonne avec celle faite aux hommes, dans une société de profit qui ne prend soin ni de l’humain, ni de l’animal. Nous ne voulons plus mourir, mais pour autant, c’est comme si nous ne savions plus vivre.
Laurence Cazaux
Pig Boy 1986-2358, de Gwendoline
Soublin, Espaces 34, 80 pages, 14 €
Théâtre Humanimalité
juillet 2018 | Le Matricule des Anges n°195
| par
Laurence Cazaux
D’une étonnante inventivité, Pig Boy 1986-2358 explore les mutations du vivant.
Un livre
Humanimalité
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°195
, juillet 2018.