Il y a d’abord Sara, discrète et posée, avec sa vie en retrait, projetée ce jour de mai 2011 seule sur scène, quand elle apprend que son unique fils, Jason, est porté disparu quelque part en Afghanistan. Jason, le fils prodige, l’enfant solaire, en quête de père et de mémoire, engagé dans les forces spéciales américaines après le 11-septembre. Onze jours, c’est le temps entre l’annonce de la nouvelle et la fin. Le temps du deuil. Lea Carpenter trouve le juste équilibre entre factuel, fictionnel et sentimental. Onze jours prend parfois des aspects documentaires, sans que la trame du roman se perde jamais. Le récit va et vient, entre Sara qui espère et Jason, cruellement présent, bien qu’on sache dès les premières pages qu’on ne le reverra pas. Ses courriers, ses mails, livrent l’évolution de sa perception du monde, de son rapport à l’autre, de la construction de sa personnalité. Les SEAL (le roman est hyperdocumenté) lui offrent la voie vers une libération de la figure paternelle, qui couvre l’ensemble du récit. Onze jours est construit par pans de mémoires, bribes de lettres, appréhensions, angoisses, espoirs et immédiateté. C’est une histoire intime, que Lea Carpenter transforme en autre chose, comme un objet hybride, tout à la fois roman d’apprentissage, récit épistolaire, travail sur le souvenir. Et s’il y a dans la construction de Onze jours quelque chose de très artificiel, presque factice, lié à l’usage du langage, au choix des situations, pourtant, Lea Carpenter convainc. Peut-être parce qu’au-delà de l’histoire, elle ramène à l’essence de la tragédie, à la Grèce antique. Citant Auden et le Bouclier d’Achille, ou bien Apollonios de Rhodes et les Argonautiques, rappelant Priam, qui supplie Achille de lui laisser le corps d’Hector. Les guerres modernes n’inventent rien, et certainement pas la douleur des mères.
Julie Coutu
Onze jours, de Lea Carpenter
traduit de l’américain par Anatole Pons
Gallmeister, 272 p., 22 €
Domaine étranger Chemin sans retour
septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196
| par
Julie Coutu
Un livre
Chemin sans retour
Par
Julie Coutu
Le Matricule des Anges n°196
, septembre 2018.