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Domaine français Matières à voir

septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196 | par Chloé Brendlé

Maylis de Kerangal nous ouvre de nouveaux chantiers, ceux d’une jeune peintre en décor. Plongée émerveillée dans un univers en trompe-l’œil, de Bruxelles à Lascaux.

Un monde à portée de main

Paula Karst, honneur à toi qui es de retour, décris tes conquêtes, raconte tes faits d’armes ! » Apprendre à imiter les reliefs, les textures et les couleurs, ceux du bois, de la pierre, des marbres et à désarçonner le regard du spectateur : voilà la bien peu commune aventure de Paula Karst, devenue reine du trompe-l’œil. Par rapport à ses précédents romans, Maylis de Kerangal semble prendre la tangente. D’abord, elle délaisse la narration des entreprises collectives (les étapes d’une transplantation cardiaque dans le très acclamé Réparer les vivants, celles de la construction d’un pont dans Naissance d’un pont) pour suivre la trajectoire individuelle d’une étudiante un peu perdue. Ensuite, elle ne s’ancre pas dans un seul lieu privilégié mais choisit d’emprunter les chemins inégaux de l’héroïne, de la rue du Métal à Bruxelles, où se trouve son Institut de peinture, aux villes d’Europe où l’appellent les chantiers – Turin, Rome, Moscou, Montignac…
Dans Un monde à portée de main le lecteur redécouvre pourtant la puissante attirance de l’écrivaine pour tout ce que les mains – surtout celles que l’on dit « petites » – peuvent façonner : un cœur que l’on extrait, transporte et greffe, un matériau que l’on adapte au paysage. Ce qui intéresse Kerangal, le cœur de son métier à elle, c’est de plonger dans la matière, d’en attraper la texture, d’en nommer les gestes et les outils ; ce sont des mots qui disent la merveille : parmi d’autres, portor, cipolin, serpentine, cuisse de nymphe émue, cerfontaine… Moins éclatante que la chirurgie, moins voyante que l’architecture, moins émouvante que la technique de greffe, la peinture en décor n’en fournit pas moins à l’écrivaine un étonnant vivier de noms et de sensations.
« Copier. La science des ânes (…). » ? À cette flèche décochée par le père de Paula lorsque celle-ci se choisit une voie dans le décor, Maylis de Kerangal rétorque par l’exemple. Des ciels-de-lit à la grotte de Lascaux 2, des scènes de théâtre aux backlot de Cinecittà, elle montre combien l’histoire des images est une recréation du monde à l’infini, un gigantesque trompe-l’œil. Kerangal magnifie les métiers manuels, ceux de « la cohorte des travailleurs nomades », « vrais faussaires » que rejoint Paula, accessoiristes, scénographes, maquilleuses, archéologues… Ce faisant, elle montre aussi combien l’écriture est un artisanat, se souvenant de la leçon de Claude Simon.
Mais Un monde à portée de main n’est pas qu’une question de répliques. Le titre du roman pointe à la fois le bout du pinceau et l’orée d’une vie. Les passages les plus réussis et pourtant ceux a priori les moins romanesques sont probablement ceux où l’auteure parvient à rendre le temps des études comme un western intime. Des états de son héroïne elle saisit l’orgueil rétracté, la timidité à vif, le branle-bas de combat intérieur, les métamorphoses minuscules après un passage à vide (« quelque chose de plus aguerri émane d’elle, qui n’est rien autre qu’une aptitude à l’échec, un consentement à la chute et un désir de relance. »). De ses relations à géométrie variable (« conjonctions éclair ») elle extrait un trio : Paula au nom de roche karstique, Kate Malone (au nom de cowgirl solitaire, mais aussi du modèle de Wanda, l’héroïne de cinéma) et Jonas Roetjens (aux consonances flamandes). Elle nous fait ressentir l’émulation fiévreuse, galvanisante des nuits charrette, autant nuits de travail débridé que de désir : « ces nuits-là étaient leur bien commun, le socle de leur amitié, un stock d’images et de sensations dans lequel ils revenaient puiser avec un plaisir manifeste dès qu’ils se retrouvaient, leur récit outrant l’urgence, la fatigue et le doute. »
Là où l’écrivaine excelle, c’est quand il s’agit de ressaisir les actions accomplies, les époques et les espaces traversés. À travers un seul personnage, elle semble connecter l’histoire de l’Europe et du monde ; à travers un seul nom (d’après la leçon de Proust, cette fois), elle déplie toutes les strates d’un imaginaire, gratte un palimpseste, se fait conteuse des temps immémoriaux. Cerfontaine, imbricata sont deux de ces noms-sésames, dont on ne dira rien ici sinon qu’ils aboutissent à la Préhistoire : « C’est le récit de la jungle d’avant, celui de la mangrove primitive, des barrières de corail et des lagons transparents qui imbibaient la zone au temps du Dévonien ». La Préhistoire, et une image, entraperçue dans une vieille grotte. Des jeunes garçons qui découvrirent Lascaux, et le redécouvrent dans le présent mythique du récit, la narratrice dit que « l’émerveillement leur tient lieu de méthode » : principe d’admiration que nous propose aussi l’auteure. Où il ne serait pas question de ripoliner le monde, mais de creuser l’espace, d’apprendre à regarder, sans fond.

Chloé Brendlé

Un monde à portée de main, de Maylis de Kerangal
Verticales, 286 pages, 20

Matières à voir Par Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°196 , septembre 2018.
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