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Domaine français Pleine mère

septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196 | par Anthony Dufraisse

Flirtant avec l’enquête policière, le deuxième roman de Christophe Boltanski reconstitue les vies palimpsestes de la figure maternelle.

Roman, est-il écrit sur la page de garde du Guetteur, le deuxième de Christophe Boltanski. Romanquête, pourrait-on préciser en emprunter ce mot-valise à Norman Mailer. Une nouvelle enquête, faut-il encore ajouter, presque à la manière policière, après La Cache, dont nous avions salué ici même la parution, couronnée du prix Femina 2015. Et de nouveau il y est question de la famille. De sa famille. Dans son premier roman l’écrivain-journaliste Boltanski s’intéressait, on s’en souvient, à la seule branche paternelle. Cette fois, il s’agit de sa mère et d’elle seule. La Cache était une galerie de portraits, cette fois c’est un portrait au singulier d’une femme singulière : Françoise. Le ton de ce roman est peut-être plus grave que le précédent. Disons qu’il est d’une gravité mélancolique, ce qui n’empêche pas une forme de suspens, loin de là. On se laisse très vite happer par cette alternance des temporalités, cet enchâssement des réminiscences, dimensions parallèles d’une vie. Dans Le Guetteur apparaissent en effet deux silhouettes, celle d’une toute jeune femme qui veut s’émanciper de son milieu bourgeois au tournant des années 60, la guerre d’Algérie en toile de fond, et celle d’une femme bien plus âgée, qui mène avec les années une existence parisienne de plus en plus marginale et monomaniaque, toute faite d’expédients. Comment croire que ces deux femmes-là n’en font qu’une ? Celle-ci, épousant le militantisme de la décolonisation, flirtant avec le FLN et celle-là, « progressivement retirée du monde », recluse dans un appart’ tenant, à la fin de sa vie, autant du bunker que du squat.
À l’annonce de la mort de sa mère, le narrateur, évidemment double de l’auteur, n’est pas là. Mais loin, très loin, dans un désert des confins où il exerce son métier de reporter. Cet éloignement, tout le récit tente, dirait-on, de le combler, ou de le compenser. Comme si, en interrogeant le passé et en remontant le fil des dernières années de la vie de sa mère, l’auteur essayait de s’en rapprocher ultimement, d’approcher au plus près ce qui fut la vérité d’un être, quelque chose comme son intériorité, son noyau dur. Donc il cherche, et regarde au-delà des apparences, des évidences. Parmi ses premières découvertes, celle-ci, en quelque sorte une scène primitive, fondatrice de l’écriture du livre de Boltanski : sa mère, sans qu’il le sache jamais, écrivait ; dans ses affaires, il trouve « des débuts de manuscrits, des essais, des entames de chapitres, des attaques dépourvues de chute, des amorces ne débouchant sur rien. Des promesses de livres, des livres en puissance. Des livres qui n’existeraient jamais. » Bref, tous les signes d’une frénésie scripturaire sans lendemain. Là, au milieu de ces diverses ébauches, esquisses et brouillons il y a, sous le titre La Nuit du guetteur, le manuscrit d’un polar inachevé qui met en scène un voyeur… Il n’en fallait pas plus pour qu’une continuité romanesque s’établisse entre la tentative maternelle, toujours avortée, d’aller au bout d’un livre, et la tentation du fils de coucher – on allait même écrire d’accoucher – sa mère sur le papier, de la mettre en mots comme on dit mettre en musique. Et la petite musique de Boltanski, on peut, au jeu des comparaisons, lui trouver une sonorité modianesque. Oui, un peu comme chez Modiano, il y a cette manière bien particulière d’avancer en spirale, cette action qui progresse comme une tache d’huile aux contours mouvants.
En lisant, tel un diptyque, et La Cache et Le Guetteur, on se tromperait à ne voir en Boltanski qu’un romancier de la famille, alors qu’il est surtout un écrivain du secret et de la clandestinité, guettant sous la surface ce qui, volontairement ou non, est caché. Tout de clair-obscur, ce deuxième opus est donc l’itinéraire d’un être aimé dont les silhouettes successives s’éclairent brièvement avant de s’en retourner dans la nuit, conservant ses zones d’ombre et de mystère : « Ma mère était ce que je ne savais pas d’elle et que je chercherais indéfiniment toute ma vie. »

Anthony Dufraisse

Le Guetteur, de Christophe Boltanski
Stock, 287 pages, 19

Pleine mère Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°196 , septembre 2018.
LMDA papier n°196
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