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Poésie Grisou à tous les étages

septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196 | par Emmanuel Laugier

Le premier volume de Kees Ouwens, véritable fusée, vient en ce début de siècle percer son plafond par des phrases calcinées et brûlantes de lucidité.

Du perdant et de la source lumineuse

L’œuvre de Kees Ouwens (1944-2004), romancier et poète néerlandais, est en France à peu près méconnue. La traduction de l’un de ses livres de poésie Du perdant & de la source lumineuse (paru en 2007) est un événement majeur, qui le place aux côtés des grands modernistes venus des Pays-Bas, dont Hans Faverey. Sa manière, tout à fait différente du minimalisme grammairien de ce dernier, n’en commotionne pas moins l’expérience éprouvée telle qu’il tente de l’imposer comme sujet de ses poèmes. Livre, plutôt que recueil, Du perdant & de la source lumineuse se structure en six parties, elles-mêmes décidées selon le découpage d’une phrase-poème extraite de Théorème (Pasolini). Cet usage mériterait à lui seul un véritable commentaire : pour n’en donner que le strict pouls, la première partie du livre d’Ouwens s’ouvre par ce vers : « déshabillage sous la verrière de la station-tête  », la sixième par ce constat : « où le volcan est le cri et la plante des pieds chausse les cendres  ». Les quatre autres parties en perpétuent le chemin de consumation, la langue d’Ouwens étant savamment travaillée par un expressionnisme critique qui atténue autant la possibilité de son pathos, que l’effet over-dress dont elle pourrait se revêtir. Sa lyrique est rompue à la tâche de l’âpreté et de la violence. Ouwens conjugue les registres autobiographiques à ceux d’une poésie civile, pour reprendre une catégorie italienne, par laquelle le poète interroge sa place dans la société. Il ajoure ses poèmes de pensées (écologiques, politiques, toujours discrètes mais évidentes), non sans un humour froid, élaborant une véritable traversée du monde tel qu’il ne va pas : « Qui rend visible ce qu’il y a à voir//Et le rend plus visible que l’œil/humain, qui le récolte, mais ne récoltera pas/la souveraineté, sait lire  ». Ce n’est pas qu’Ouwers lui demande de rendre des comptes, mais ce à quoi il s’expose (Ouwens) le conduit à payer durement (pour reprendre Kafka) ce que les trois quarts des sujets de l’humanité vivent : « ciel clos/comme le circuit sanguin  ».
Le for intérieur de cette poésie est autant un ici qu’un là-bas tournés vers ce que le dehors en écrase, jusqu’à les rincer, ou scier de part en part toutes les expériences possibles de témoignages ou de récits. Mais aussi un lent travail d’élaboration de points de vue errants, dessouchés à l’avance de leur sol : « Et romps l’atermoiement, abandonne la lucarne à la capucine, sors à l’abri, entre au dehors  ».
Sa traductrice, Elke de Rijcke, décrit le défi d’Ouwens comme celui de « rapporter une matière de vie, en essayant de comprendre en quoi consiste cette matière et comment elle peut se traduire poétiquement », ou encore que la dissociation des groupes syntagmatiques propres à cette poésie cherche à « restituer quelque chose qui se désagrège au sein même de l’expérience. Elle tient un rapport littéral à l’expérience », tout en sachant que celle-ci n’est que division, disjonction, voire dissociation de la matière-vie de l’auteur. La comparaison de ses phrases, « fil frêle tissant du son  », à « d’énormes lignes de pêches  » donne bien la mesure de l’effort, de la hardiesse et de la pugnacité, avec lesquels Ouwens répond à ce qu’il sent et voit défiler de sa propre vie à celle de tous et de toutes.
La mort du père, pour rappeler le registre personnel, signe, en ouverture du livre, un poème à la valeur testimoniale aussi puissant que son dépôt est pudique : « Au travers de ma réserve incliné vers lui,/j’invoquais son égarement par le mot/dont je ne me souvenais pas lui avoir dit jamais,/et qui, syllabe répétée de manière non-concordante, me/tombait de la bouche comme des jumeaux, et s’énonçait : Papa//Et son visage, les yeux fermés, se laissait honorer/de ma voix  ». Mais cet aspect, nommant la difficulté d’un rapport (« perspective clôturée en chœur  »), ne cache pourtant pas les jungles plates qu’affronte Ouwens, « lieu à retardement  » par quoi « disparue dans le blanc entre un dernier deux vers/il y a une matière, éclatée à l’intérieur de la seconde,/l’hirondelle qui a fissuré sobrement la lumière du jour,/la cible  ». Car « l’été pourri d’autan/la reprise offre le millénium tardif  » qu’il reste à faire, comme le négatif.

Emmanuel Laugier

Du perdant & de la source lumineuse, de Kees Ouwens
Traduit du néerlandais et postfacé par Elke de Rijcke,
La Lettre volée, 96 pages, 16

Grisou à tous les étages Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°196 , septembre 2018.
LMDA papier n°196
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