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Traduction Lise Caillat

octobre 2018 | Le Matricule des Anges n°197

Magnifica, de Maria Rosaria Valentini

Être touchée par un texte au point d’éprouver un élan de responsabilité, une urgence, une nécessité : je dois traduire ce livre, le faire connaître, le partager ; et le désir aussi, irrépressible, de l’approcher, de le toucher, de lui offrir ce prolongement, cette résonance, un humble et vibrant hommage. À présent je le sais, cela peut arriver. La traduction est d’abord une rencontre, et comme toutes les rencontres parfois quelque chose se passe, parfois non ; l’harmonie, la complicité, l’intimité ne sont jamais les mêmes. C’est de cette rencontre, ma rencontre avec Magnifica et l’écriture de Maria Rosaria Valentini dont je veux vous parler.
Eufrasia, Ada Maria, Magnifica. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, trois générations de femmes qui vont leur vie dans un petit village niché au cœur de l’Apennin central telle « une arête de poisson : fine, pâle, incertaine ». Une vie tissée d’attentes et d’espérances, rythmée par le vol des oiseaux, la transformation des feuillages, le bal incessant des naissances et des morts ; entre le mystère de traditions ancestrales et l’ivresse de promesses courant vers le futur. Dans cette vie apparemment tranquille, par fulgurances, s’invite l’amour. Puissant et impénétrable, il suspend pour un temps les gestes, les mots, les regards, et s’empare des personnages, de la nature sauvage.
L’écriture de Maria Rosaria Valentini, d’un raffinement et d’une poésie inouïs, ne fait pas de compromis entre la grâce et la laideur, la douceur et la violence, la légèreté et la tragédie. Elle oscille avec habileté et malice entre des réalités tantôt séduisantes tantôt repoussantes. Par exemple celle d’une nature bucolique, accueillante : « Les étés avaient alors une saveur d’été, de fraises minuscules enfouies dans les prés, de coquelicots étourdis par les vagues des champs de blé, de cerises macérées dans le sucre, de tomates coupées en deux brûlant au soleil sous un filet, d’hirondelles folles qui zébraient l’azur dans un ballet de piqués et de vrilles effréné. », et celle d’un mari brutal et répugnant – Aniceto – comparé à un crapaud : « C’étaient les petites pattes du crapaud qui la faisaient pleurer, c’était ce ventre mou et laiteux qui se collait au sien comme une ventouse, c’étaient ces yeux saillants et cuivrés, cette bouche capable de tout avaler : des insectes minuscules aux rats dodus. » Bercée par des lignes d’une beauté envoûtante, j’ai souvent dû résister à la tentation d’adoucir l’irruption d’une image ou d’une évocation crue et déplaisante.
À travers cette tension troublante filtrent également la légèreté, la fantaisie, les « festons de l’enfance ». Avec une syntaxe joueuse et capricieuse (ellipses, énumérations, inversions, raccourcis…) aux accents de comptine : « Dehors, des enfants jouaient à cache-cache. Vus ! », une capacité à dire l’émerveillement, à enchevêtrer le rêve et la réalité : « Quand sa sœur se penchait vers lui, Pietrino avait l’impression que tous les papillons du cabanon s’échappaient de leurs cages de verre dans un grand frou-frou et s’envolaient, soudain happés par la liberté. »
La minutie et le raffinement confinent parfois avec une rigueur et une précision scientifiques. J’ai ainsi effectué de nombreuses recherches pour évoquer les différentes espèces de papillons, les techniques de la taxidermie pratiquée par Aniceto, les arbres et les fleurs omniprésents, les tissus, les vêtements, certaines couleurs…
Traduire Magnifica est un exercice poétique quasi constant et de haut vol. Outre la musique, les changements de rythme, la difficulté se trouve dans les images. Des myriades d’images tantôt concrètes, tantôt abstraites, tantôt isolées, tantôt enchâssées ou fondues dans le texte. Les liens analogiques sont rarement explicites et parfois inattendus. Il ne faut rien négliger : les formes, les couleurs, les odeurs, les gestes, les émotions… Une image peut cacher un véritable petit scénario, le cheminement d’une pensée, d’un rêve, d’un souvenir. Face à une telle complexité j’ai dû deviner, projeter, extrapoler, déconstruire pour comprendre ; puis lentement reconstruire et choisir, car restituer l’image dans son intégralité n’était pas toujours possible : priorité aux mouvements ? aux parfums ? aux sons ? à la matière ? Il m’est arrivé d’ajouter, de préciser légèrement : « D’un coup cette zone, pendant des mois pleine de soldats, de flammes et d’armes, devint silence. Résille de chenille noire. », ou simplement d’accepter le mystère, l’abstraction : « Les amants se noyaient, alors, dans un abîme parfumé : là où les cartes n’ont pas de routes et filent seulement de minces faisceaux d’enchantement. » L’important est qu’un lien subsiste, une résonance intime, un peu de « lait des muses » dirait Dante, et que dans ce kaléidoscope le lecteur puisse déceler une idée, percevoir ou éprouver quelque chose qui parle à son imaginaire…
Enfin, la plume de Maria Rosaria Valentini est portée par un souffle magique. Certains mots sont investis d’un pouvoir créateur, prophétique : « nomen omen » (le nom est présage) lit-on dès la première page. Ils reviennent et forment dans le texte des constellations envoûtantes. Ce faisant ils deviennent action, réalité immédiate ou tension vers (poiêsis). Ainsi l’espérance, le verbe inventer, le nom et titre programme Magnifica. D’autres mots, à travers la répétition ou leur position, acquièrent un pouvoir symbolique. Petit à petit ils se dilatent, se transforment et annulent les frontières de ce qu’ils désignent. Il suffit presque de les prononcer. Ainsi de simple forêt La Faggeta devient un personnage à part entière, cette sœur qu’Ada Maria aimerait tant avoir ; ainsi les papillons incarnent les rêves, les promesses et la liberté. Ces paroles magiques, il faut savoir les repérer, choisir la traduction qui les suivra d’une rive à l’autre du texte, les placer. Cela demande une grande vigilance et une profonde intimité avec la langue, l’univers de l’auteur.
Ce roman est une des plus belles rencontres de ma vie. Rarement je me suis sentie aussi liée à une écriture, obligée par sa richesse et sa beauté. Et combien de fois, avançant prudemment sur le mince fil séparant ses mots et les miens, j’ai été happée par cette nature vivante et accueillante, par l’attente patiente et les courses haletantes d’Ada Maria, par l’espérance.

* A également traduit Caterina Bonvicini, Alessandro Baricco, Giulia Fazzi. Magnifica est publié aux éditions Denoël.

Lise Caillat
Le Matricule des Anges n°197 , octobre 2018.
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