Du bibliophile au bibliomane, il n’y a qu’un pas. Et deux pas entre l’acheteur forcené et le vol. Surtout si les livres ont les prestiges de la rareté et de l’ancienneté. Journaliste de son état, Allison Hoover Bartlett mène son enquête dans le milieu des librairies et salons du livre ancien, entre New York et Los Angeles, en passant par Salt Lake City, où Ken Sanders tient son entrepôt. De son royaume de papier, il traque un ingénieux arnaqueur à la carte bancaire qui s’approprie indûment des flopées d’éditions originales des plus grands écrivains anglo-saxons, de Lovecraft à Jack Kerouac, parfois dédicacées. Quoique John Gilkey fasse de fréquents séjours en prison, rien ne calme ses achats compulsifs et frauduleux, son rêve de posséder les « cent titres de la Modern Library » : « J’aime avoir entre les mains un livre dont je sais qu’il vaut 5000 ou même 10000 dollars. Et aussi recevoir l’admiration des autres ». Il s’agit alors de « faire coïncider possession matérielle et personnalité ».
On aurait tort de se laisser décourager par les premiers chapitres, dont l’écriture est assez plate. Bientôt la chose prend de l’épaisseur, s’attachant au mystère et au puzzle de la personnalité de son objet d’étude. Mieux, l’addiction aux collections est éclairée par des allusions, des citations de Freud ou Walter Benjamin. Ainsi la narratrice s’initie-t-elle avec nous aux arcanes de la bibliophilie autant qu’aux complexités du désir, de la dissimulation du sujet. À l’issue de cette lecture, on s’étonne que cette enquête didactique et à suspense soit si proche de la haute tenue d’un roman aussi bien construit qu’attachant, voire d’un essai voué à notre « héritage culturel ».
Thierry Guinhut
L’Homme qui aimait trop les livres d’Allison Hoover Bartlett
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Cyril Gay, Marchialy, 320 pages, 21 €
Domaine étranger L' Homme qui aimait trop les livres
octobre 2018 | Le Matricule des Anges n°197
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°197
, octobre 2018.