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Poésie Fines bulles d’essais

février 2019 | Le Matricule des Anges n°200 | par Emmanuel Laugier

Suzanne Doppelt signe une divagation énigmatique sur le motif de la bulle de savon. Un existentialisme où le fiasco en est la figure parfaite.

Rien à cette magie

Septième livre, si l’on excepte les images que Suzanne Doppelt réalisa pour le Kub Or (1994) de Pierre Alferi et pour Dans la reproduction en 2 parties égales des plantes et des animaux (1999) d’Anne Portugal, Rien à cette magie entremêle gracieusement ses collages et ses textes : le lien est autant à chercher qu’à imaginer comme un jeu de l’oie ou une ritournelle incessante d’allers et de retours. Les textes, pour la magie qui y opère, s’ouvrent tous par un paragraphe en italique où le lecteur est tutoyé, posté qu’il est peut-être comme à l’orée d’une lisière qu’il lui faudra gagner. Mais le temps le presse, il faut atteindre la lisière de la forêt, selon ce que Descartes expose dans Le Discours de la méthode, en se décidant de la direction à prendre, en s’y tenant sans jamais tomber dans le paradoxe de l’âne de Buridan qui, hésitant entre un seau d’eau et un seau d’avoine posé l’un l’autre à équidistance, de ne pas savoir choisir va mourir de faim. La décision est celle d’un savoir être dans ou devant la possibilité d’une bulle. Celle-ci, Chardin, ou Manet, la peignirent, mais on peut aussi penser, l’expérience de ce livre la découvrant, à Courbet revenant aux sources résurgentes de la Loue la peindre dans un noir de goudron jamais vue où rien n’est à voir. La transparence de la bulle, avant de crever, valant la masse réfractaire de cette eau bondissante insaisissable.
Car de livre en livre (Amusements de mécanique, Lady Suzie, Vak Spectra, etc.) Suzanne Doppelt propose des pérégrinations étranges que l’absence parfois de commencements trouble. La phrase ne débute ainsi jamais, elle s’immisce plutôt sur la page et glisse. Dans Lady Suzie, mais aussi dans Rien à cette magie, dont le titre supposerait un verbe et la supposition d’une négation, aucune majuscule n’ouvre les paragraphes, pas de pagination non plus n’est conduite, mais un espace UN se déploie sur toutes les pages. Ceci n’empêche pas qu’il y ait pourtant un projet, une programmatique fuselée lance le mouvement dans lequel le lecteur ira tournoyer : par exemple « voir suppose une petite fissure et commencer à peindre exige de percer un trou, un seul suffit pour faire une passoire, à travers on regarde une histoire  ». La peinture, comme la photographie, comme la vue, comme le cinéma, œuvrent à faire de l’œil un motif récurrent, presque général, des livres de Doppelt : « d’angle en angle l’œil ne cesse de défaire et rabattre les plis mobiles jusqu’au vertige quand ils sont noirs ou presque  » (Vak Spectra). S’il faut voir pour écrire, Suzanne Doppelt a élu cet acte comme leitmotiv (plus ou moins évidemment lisible et visible) de son travail. L’œil parcourt les surfaces et les plans de constructions de ses architectures, bulles comprises, quand bien même elles seraient « presque introuvable(s) à l’œil nu  ».
Mais continuons : la Seconde méditation métaphysique dudit Descartes poursuit en italique le conseil : « prends garde à jouer aux fantômes on le devient un esprit ou un pupi mû par des fils et des ressorts qui fait dans son théâtre nain des gestes  ». Ce que file la page suivante repose dans la magie d’un chapeau qui cache des automates articulés. Il faut faire avec et la réponse tient à cette «  surimpression que les yeux traversent la voyant sans la voir vraiment, d’une solution savonneuse par un influx léger et une passe magnétique ». Tout semble se boucler dans le cercle fragile d’une bulle de savon tenue au bout d’un très fin bâton. C’est ce que montre le tableau de Chardin reproduit deux fois dans le livre : une parfaite sphère qui va de la respiration à l’œil. La bulle y étant là plus qu’une figure métonymique, et moins la métaphore du destin : « chaque chose a son mode de corruption, la fleur se fane, le verre se casse même s’il peut plier d’un pouce par pied et le tissu se déchire sur plusieurs centimètres carrés, la bulle s’évapore à cause du moindre aléa (…), une explosion discrète qui ne laisse rien paraître, aucune trace ni odeur, tout juste une impression dans l’air ».
Que faire, ou dire, que répondre à cela ? Énigme, réponse : « il faudrait un bâton de pastel plus un œil bien aiguisé, le troisième au moins pour voir cette chose semblable au reflet d’un corps dans une glace (…) ombres chinoises entre le jour et la nuit  ».

Emmanuel Laugier

Rien à cette magie, de Suzanne Doppelt,
P. O. L, n.p., 13

Fines bulles d’essais Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°200 , février 2019.
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