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Domaine étranger Clochemerle au Cap

mars 2019 | Le Matricule des Anges n°201 | par Catherine Simon

Deux vieilles dames et la haine : Yewande Omotoso montre les blessures toujours à vif dans l’Afrique du Sud post-apartheid.

Elles ne peuvent pas se sentir et, fait plus rare, ne s’en cachent pas. Marion et Hortensia sont voisines. La haine qui les sépare est, à la façon du mur de Simone Weil, citée en exergue du roman, « ce qui leur permet de communiquer ». Un vrai spectacle. Avec ses reparties cinglantes, ses rebondissements, ses coulisses pleines de fantômes et d’amertume. Le tout, sur fond d’Afrique du Sud fraîchement délivrée de l’apartheid.
Marion et Hortensia habitent un faubourg chic de la ville du Cap. Toutes deux ont dépassé les 80 ans. Marion Agostino est une névrosée : architecte, elle a toujours rêvé d’habiter le n°10 de Katterijn Avenue, une maison « de prestige », qu’elle-même avait conçue quand elle était jeune ; cette maison a été sa première construction et sa première victoire dans un milieu misogyne et extrêmement compétitif, une gageure pour elle, fille de Lituaniens exilés et sans le sou. Manque de chance, c’est le n°12, la maison voisine, que Marion a dû se résigner à acheter pour s’y installer en famille, le n°10 ne cessant, de changement de propriétaire en changement de propriétaire, de lui filer sous le nez. Un matin, alors que le temps a passé, que son mari est mort et que leurs enfants sont partis au loin faire leur vie, Marion voit débouler, à l’entrée du n°10, « une Noire, aux cheveux courts grisonnants, pratiquement sans poitrine et maigrichonne, en train de diriger un orchestre de déménageurs ». Une fois de plus, Marion s’est fait doubler. Elle vit cet épisode – le dernier, vu son âge –, comme « une insulte ». Sa rancœur, féroce, naît ce jour-là, dans ce sentiment de dépossession : elle n’habitera jamais la maison qu’elle avait créée. Du moins, le croit-elle…
Hortensia, elle, a mille raisons de détester Marion. La première, c’est qu’elle n’aime « pratiquement personne ». Elle aussi, comme Marion, est une self-made-woman. Le racisme, avec son cortège de blagues faussement anodines et ses inépuisables violences, elle a grandi dedans. Elle aussi, comme Marion, s’est jetée dans le travail avec passion. Déesse du design, connue et révérée jusqu’au Danemark pour ses créations, Hortensia s’est installée au Cap avec Peter, son vieux mari malade, un Blanc longiligne, sentimental et raisonnablement fourbe. À l’instar de Max, l’époux de Marion, Peter s’efface de la scène assez vite : quand le roman commence, il vient de mourir. Reste son fantôme, obsédant.
C’est autour des lieux : les terres, les jardins, les maisons, que la bataille entre les deux vieilles femmes s’engage. Le racisme, que Marion n’a pas dénoncé, qu’elle a intégré, voire nourri, lui revient en pleine figure. Sans qu’elle arrive à s’en dépêtrer. Le faubourg même de Katterijn devient le théâtre d’un conflit foncier, qui fait ressurgir les souvenirs de l’esclavage et des spoliations. Pas de raison de dévoiler ici les événements qui vont amener Marion et Hortensia, non pas à devenir amies – la chose est difficile, nous ne sommes pas chez Walt Disney –, mais à coexister et, finalement, à s’épauler.
Le fait que l’auteure, Yewande Omotoso, habite en Afrique du Sud et travaille, comme ses héroïnes, dans les domaines du design et de l’architecture, explique sans doute, en partie, la composition, subtile et presque froide, de ce récit caustique. On y suit les pérégrinations mentales de Marion, qui se rappelle « les informations, dures et minuscules comme des fientes d’oiseaux », qu’elle avait fini, petite, par arracher à ses parents, sans réussir à savoir quel avait été leur périple et pourquoi ils avaient dû fuir. Le passé d’Hortensia est plus facile à déchiffrer : c’est l’histoire d’une nomade et d’une étrangère, une femme frustrée, en colère, pétrie de contradictions.
À se frotter l’une à l’autre, comme des silex, Marion et Hortensia finissent par produire des éclats de lumière, révélant au lecteur les gouffres qui les habitent – telles des plaies vives, celles de l’Afrique du Sud aujourd’hui.

Catherine Simon

La Voisine, de Yewande Omotoso
Traduit de l’anglais par Christine Raguet, Zoé, 288 pages, 21

Clochemerle au Cap Par Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°201 , mars 2019.
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